Pour Thierry Coville, il faut «arrêter de parler d’austérité», pour sortir la France de la récession

Après un recul de la croissance de 0,2 % au quatrième trimestre 2012 et de 0,2 % au premier trimestre 2013, la France est officiellement en récession. Thierry Coville, économiste et professeur à Negocia-Advancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le «risque pays», plaide pour un retour à des politiques de croissance et d’investissement, mais craint que la marge de manœuvre de la France ne soit faible au sein de la zone euro.

RFI : Ces chiffres de l’économie française ne sont pas réellement une surprise. Que traduisent-ils ? Peut-on parler d’une économie au point mort ?

Thierry Coville : Oui, c'est-à-dire que l’on considère que, techniquement, un pays est en récession quand il y a deux trimestres de suite de baisses du PIB. Donc, il y a eu baisse du PIB à la fin du dernier trimestre 2012 et au premier trimestre 2013.

De plus, on peut dire que l’économie française est en récession depuis le début 2012, dans le sens où il y avait déjà une baisse du PIB au deuxième trimestre 2012. Donc là, on a une économie française qui est, techniquement, et même pratiquement, en récession.

Cette récession est une mauvaise nouvelle pour les entreprises : on investi moins, on embauche moins. Une dynamique récessionniste va-t-elle s’installer, selon vous ?

Oui. Surtout, ce qui est relativement inquiétant, c’est que la consommation des ménages français, qui jusqu’à présent avait quand même relativement résisté par rapport à la crise ces derniers mois, a vraiment plongé, depuis fin 2102.

Alors là, on entre dans un cercle vicieux assez dangereux, dans le sens où s’il y a baisse de la consommation, les entreprises investissent moins. Et dans ce cas-là, il y a baisse de l’emploi et cela a un impact négatif sur la consommation. Là, c’est véritablement dangereux.

La France fait justement face à une baisse historique du pouvoir d’achat des ménages, de moins 0,9 % en 2012. Cette baisse peut-elle s’accentuer en 2013 ?

Oui. Ce qui pèse surtout sur la consommation des ménages, c’est la hausse du chômage. Le taux de chômage a atteint maintenant 11 % début 2013 en France. Cette hausse du chômage limite la consommation, parce qu’il n’y a pas assez d’emplois. Il y a perte d’emplois. Et puis, autre élément, on voit bien que les consommateurs français commencent constituer une épargne de précaution face à la dégradation du marché de l’emploi.

Cette hausse du chômage est-elle inéluctable dans ces périodes ?

Oui. On considère qu’il faut que l’économie française ait une croissance de 1,5 %, pour, au moins, stabiliser le taux de chômage. Là, avec une économie dont le PIB baisse, vous pouvez imaginer que c’est tout à fait normal que le taux de chômage augmente. Et il apparaît assez logique qu’il continue à augmenter dans les prochains mois, compte tendu du contexte sur le plan de croissance.

Malgré tout, le gouvernement maintient ses prévisions positives. Est-ce réaliste, selon vous ?

C’est toujours pareil. Cela va très mal, mais il faut savoir si cela va aller un petit peu moins mal. Dans l’idéal, on serait actuellement au fond du trou. Mais, malheureusement, tous les indicateurs sont en baisse : la consommation des ménages, l’investissement… Et ce qui est surtout inquiétant, c’est qu’il n’y a pas vraiment de changements sur les facteurs qui déclenchent cela, c’est-à-dire la hausse du chômage et une politique économique qui penche plutôt vers l’austérité. Donc, il n’y a pas vraiment de raison que cela change dans les prochains mois.

Ce mercredi 15 mai, le président François Hollande a passé son « grand oral » devant la Commission européenne à Bruxelles. De quelle marge de manœuvre dispose-t-il ?

Il y a une prise de conscience un peu tardive en Europe, et de la part de la Commission européenne, que cette politique qu’ils voulaient imposer à tous les pays de la zone euro, de revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB, est un énorme échec et est une des causes, à mon avis, de la situation économique.

Donc, la France est un peu plus à l’aise, dans le sens où la Commission européenne lui a donné deux ans. Mais on est loin du compte, à mon avis. Et on ne voit pas trop pourquoi ça changerait. Mais il faudrait vraiment que l’on passe d’une politique d’austérité à une politique de relance. Et l'on voit très bien que la Commission européenne n’est pas prête à sauter le pas. Et l’Allemagne n’est pas du tout sur cette ligne-là.

Si l’on devait citer une mesure pour relancer l’économie, une mesure urgente, quelle serait-elle, selon vous ?

Je pense qu’il faudrait vraiment inverser la tendance en matière de politique budgétaire. Arrêter de parler d’austérité, même sur le plan de la confiance c’est très mauvais. Et puis, du côté des emplois aidés, il faudrait amplifier les bonnes mesures qui ont été prises par le gouvernement, concernant les emplois d’avenir, etc. On a besoin d’emplois aidés actuellement en France, pour inverser la courbe du chômage.

Partager :