Il y a longtemps qu'on n'avait pas construit de maison centrale en France. Celle d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a pour originalité d'être à la fois une petite structure (250 places, pas une de plus), et la plus sécurisée de France. Ce concept a été inventé dans les années 2000, à un moment où il y avait énormément de violences collectives, de prises d'otages et de projets d'évasion. L'administration pénitentiaire a alors considéré qu'il était plus facile de réunir en un seul lieu des effectifs réduits de détenus potentiellement dangereux pour mieux circonscrire les incidents.
Au départ, à Alençon, les habitants étaient plutôt réticents -ce qui est souvent le cas-, mais ils se sont finalement laissés convaincre par la création de 300 emplois de surveillants et de nombreux emplois connexes, dans une région dévastée par la fermeture de l'entreprise d'électroménager Moulinex. L'homme qui a porté ce projet, c'est le maire d'Alençon et député socialiste de l'Orne, Joaquim Pueyo, qui a longtemps dirigé les prisons de Fresnes, de Rennes, de Fleury-Mérogis ou de Bois d'Arcy.
Son idée, c'était de créer une structure à échelle humaine, en associant des quartiers à régimes différents : « C'est un centre pénitentiaire qui est double : avec une maison centrale pour de très longues peines, qui offre des garanties sur le plan de la sécurité, tout en maintenant des activités culturelles, de travail, de formation et liées au lien social ; et puis, il y a à côté un établissement adapté à l'environnement parce que nous avons dans l'Orne des personnes qui sont condamnées à de courtes peines, qui doivent exécuter leur peine au Mans, donc très loin de leur domicile. Or, je pense qu'on a intérêt à rapprocher les personnes détenues de leur environnement habituel de façon à favoriser l'insertion. Surtout, chacun sera seul par cellule ! »
L'encellulement individuel, bientôt généralisé ?
Au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, on a effectivement prévu dès le départ un numerus clausus qui implique une conception et une sécurisation particulières des bâtiments, avec un surveillant pour 17 détenus seulement. Mais il y a aujourd'hui environ 67 000 personnes derrière les barreaux en France, et il est absolument impossible de reproduire la même chose dans les autres prisons de l'Hexagone. C'est pourtant une injonction impérative de l'Union européenne pour 2014 et une nécessité absolue. Joachim Pueyo en est convaincu :
« Nous devons atteindre, dans l'histoire future, un détenu par cellule. On pourra éventuellement doubler des détenus s'il y a des recommandations sur le plan psychologique ou à la demande de la personne détenue, mais l'objectif à mon sens, dans les maisons d'arrêt, c'est un détenu par cellule. Parce que cela n'a pas de sens de mettre ensemble trois ou quatre personnes dans un espace de dix mètres carrés. Là, on voit toutes les dérives, tous les dysfonctionnements apparaître : les violences, les rackets, les menaces, et évidemment la difficulté pour le surveillant d'avoir tout simplement de l'autorité. »
Loin des «usines carcérales»
A Alençon, il y a aussi quatre unités de vie familiale pour que les condamnés à de longues peines puissent passer du temps avec leurs proches, et même dix cellules pour des détenus à mobilité réduite. On est très loin de ces immenses prisons que dénonce François Korber, ancien détenu et fondateur de l'association Robin des lois : « Il faut construire des petits établissements de 150-200 places, qui est une taille qui permet de travailler beaucoup plus à la réinsertion, pour suivre les personnes qui ont des problèmes médicaux, des problèmes psychologiques. »
Et de continuer : « Beaucoup d'infractions sont liées à des addictions : la drogue, l'alcool, le sexe. Cela peut se soigner, mais certainement pas dans des "usines" de 600 ou 700 places. Dans ces nouvelles "usines carcérales", qui sont construites au milieu de champs de patates ou dans des zones industrielles, le sentiment de solitude est encore renforcé et par conséquent, la vie y est encore plus dure, avec les conséquences que cela peut avoir sur les suicides, mais aussi sur l'agressivité, sur les agressions envers le personnel, envers les codétenus. Toutes les personnes qui ont travaillé dans ces établissements ou qui les ont fréquentés n'ont qu'une envie, c'est de retourner un jour dans une petite prison, une prison "normale", même si elle n'est pas parfaitement en bon état et même s'il n'y a pas de douche dans la cellule ! »
Actuellement, une prison parfaitement identique à celle d'Alençon-Condé-sur-Sarthe est en cours de construction à Vendin-le-Vieil, dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle accueillera après 2014, 238 détenus.
Pour approfondir
- Des hommes et des murs, Joaquim Pueyo, éditions du Cherche-Midi, avril 2013
- Le déménagement, un film documentaire de Catherine Rechard, Candela productions, 54 minutes, 2011