« Stupéfaction » et « colère », « faute impardonnable » et « outrage à la République ». Quatre termes forts pour exprimer devant toute la nation la rage, même si elle est contenue, de s'être fait manipuler. Dans son intervention, François Hollande a insisté vertement : Jérôme Cahuzac a menti, il a « trompé les plus hautes autorités du pays », et à travers eux, tous les Français. Même si le président de la République n'a pas prononcé le terrible vocable de « parjure », chacun s'est aussitôt souvenu de l'ancien ministre du Budget intervenant debout en pleine Assemblée nationale, en décembre dernier, pour affirmer face à l'ensemble des parlementaires n'avoir jamais eu de compte en Suisse. François Hollande en a bien conscience et il l'a souligné : « C'est un choc qui vient de se produire, car il y a eu manquement à la morale républicaine ». Le chef de l'Etat a donc décidé dans la foulée de renforcer dès l'été l'indépendance des juges en réformant le Conseil supérieur de la magistrature, d'assainir la vie politique en luttant contre les conflits d'intérêts et en surveillant le patrimoine des élus, et enfin d'exclure de tout mandat les élus qui auront été condamnés au pénal pour fraude fiscale ou pour corruption.
Les conflits d'intérêt, un mal français
Lors de sa dernière enquête, début décembre 2012, l'organisation non gouvernementale Transparency International (TI) tirait déjà la sonnette d'alarme en expliquant que la France était le seul pays européen, avec la Slovénie, où il n'existait toujours pas de transparence quant au patrimoine des élus. Par ailleurs, il faut savoir que 60 des parlementaires qui siègent actuellement à l'Assemblée nationale continuent à exercer en parallèle des activités privées, notamment dans des cabinets d'affaires : ils sont donc là en plein conflit d'intérêts et cela n'émeut manifestement personne ! Enfin, il existe en France une véritable opacité dans les relations entre les décideurs publics et les représentants des lobbies, qui vont jusqu'à obtenir régulièrement des rendez-vous au sein du Parlement. Or on sait à présent que les fonds blanchis par Jérôme Cahuzac à l'étranger proviennent en partie des bénéfices tirés de ses activités de consultant auprès de divers laboratoires pharmaceutiques, après son passage au cabinet Evin... Il était donc urgent et nécessaire de faire un peu le ménage ; de ce point de vue au moins, l'affaire Cahuzac aura été salutaire.
Une ligne de défense fragile
En attendant, cette affaire est devenue un scandale d'Etat parce que dès la campagne présidentielle, François Hollande avait promis aux Français une République exemplaire, et que c'est lui qui a choisi personnellement chacun de ses collaborateurs rapprochés. Aujourd'hui, le président et l'exécutif disent tous qu'ils ont été abusés, trahis par Jérôme Cahuzac mais ils sont bien en peine d'en apporter la moindre preuve tangible. Il faut donc se contenter, là encore, de leur simple parole et dans le contexte actuel, cette digue semble bien fragile. Elle fait passer François Hollande et son entourage à leur tour tantôt pour des menteurs, tantôt pour des crédules, des naïfs, voire des incompétents. Toute la droite s'est donc enfoncée dans la brèche et émet des doutes : « Etait-il possible de ne rien savoir ? » « A partir de quand ont-ils su ? » « Il faudrait une enquête indépendante pour faire toute la lumière sur cette affaire ». Bref, c'est tout le gouvernement qui sort éclaboussé par ce mensonge éhonté. Le grand perdant, c'est bien évidemment François Hollande, chef de l'Etat déjà très affaibli, qui passe cette fois-ci pour quelqu'un qui ne sait même pas gérer sa propre maison. Et celle qui risque de gagner encore des voix à l'avenir, c'est Marine Le Pen, qui aura beau jeu de renvoyer dos à dos droite et gauche sur le thème bien connu des « tous pourris »...
Cahuzac, un homme à terre
De son côté, Jérôme Cahuzac a tout perdu. Son poste de ministre, son épouse, ses amis, sa respectabilité, son honneur. C'est terrible à dire mais Jérôme Cahuzac est mort politiquement. Sur le plan pénal, le blanchiment de fraude fiscale est puni sur le papier de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende allant jusqu'à 375 000 euros mais la plupart des faits reprochés à Jérôme Cahuzac sont en réalité déjà prescrits.