Affaire Cahuzac: «peut-être l’occasion d’une refondation du système politique français»

« Des perquisitions en Suisse et une enquête judiciaire qui n’a pas donné d’autre choix à Jérôme Cahuzac que celui d’avouer et de reconnaître avoir menti », c’est ce qu’écrit aujourd’hui le quotidien suisse Le Temps qui cite le procureur de Genève. L’ex-ministre du Budget en France possédait un compte bancaire secret en Suisse. Révélation au juge, onde de choc dans la vie politique française, des aveux qui ont forcément un impact sur l’image et la crédibilité d’un gouvernement auquel appartenait ce fraudeur du fisc le 19 mars dernier encore. Décryptage avec Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

RFI : Le président François Hollande a pris la parole. Il a pris des engagements en matière de justice, en particulier en matière de lutte contre la corruption et de transparence. Est-ce suffisant ?

Laurent Bouvet : Il faudra voir dans le détail ce qu’il propose parce qu’il a annoncé trois pistes de réformes. L’une est déjà engagée : la réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour garantir l’indépendance des juges ; une autre réforme porte sur le conflit d’intérêt. Il faudra voir de quoi elle est constituée car pour le moment on a du mal à voir. Ca pourrait être lié au débat sur le cumul des mandats, parce qu’on a beaucoup parlé du cumul pour les parlementaires en faisant peser sur leurs épaules beaucoup de choses, et pas toujours de « bon goût », alors qu’on voit des parlementaires cumuler des emplois avec par exemple des charges d’avocat, d’avocat d’affaires... Il y a là aussi un sujet sur le cumul. Sur les élus condamnés, interdits de mandat, ce serait une réforme pénale qu’il devrait engager. Ce sont des mesures qui peuvent être importantes, la question est de savoir si elles sont à la hauteur de ce qui se passe aujourd’hui. On peut avoir des doutes.

Mardi, François Hollande parlait d’une « faute impardonnable ». Ce mercredi, il a parlé d'« outrage à la République ». Il pèse ses mots, la condamnation est très ferme.

En effet, la condamnation est très ferme et heureusement parce que là, on est devant un cas caractérisé tout de même de fraude fiscale. Et on est surtout devant un mensonge par action, et non pas simplement par omission si on veut faire cette différence. C’est très grave parce que, au-delà du cas Cahuzac qui nous occupe aujourd’hui, c’est un séisme qui ébranle l’ensemble de l’édifice républicain et institutionnel. Ce n’est pas seulement la gauche qui est touchée, on entend les réactions d’une partie de la droite etc.

C’est l’ensemble de l’édifice politique qui est touché : les réactions de Marine Le Pen, qui a commencé à faire quelques interventions sur les radios et les télévisions, (qui demande par exemple la dissolution de l’Assemblée nationale, ndlr) est évidemment dans un rôle qui lui est très favorable, un rôle où elle demande qu’on en finisse avec le système politique général dont elle se retire, sans doute peut-être un peu abusivement d’ailleurs parce qu’elle en fait aussi partie malgré tout. Mais on voit bien que là, ce qui est en jeu, ce n’est pas simplement la réforme sur la manière dont les élus condamnés peuvent être interdits de mandat. On n’est pas à ce niveau-là, au niveau où François Hollande a situé les choses. D’ailleurs vous avez un décalage entre les réformes qu’il propose qui sont des ajustements, et son ton très ferme de condamnation qui est bien le moins par rapport à ce qui s’est passé.

Des événements qui poussent aujourd’hui le ministère de l’Intérieur à dire que Jérôme Cahuzac n’a bénéficié d’aucune protection, car il y a des doutes qui sont soulevés dans la presse.

Des accusations sont portées dans la presse contre un certain nombre de personnes. On pense bien sûr au ministre de l’Economie Pierre Moscovici qui est mis en cause par l’opposition, par la droite depuis ce matin, comme l’ont fait Mediapart et d’autres supports médiatiques. On va voir si c’est avéré, s’il y avait des gens qui savaient au gouvernement autour de Jérôme Cahuzac. Là évidemment, l’onde de choc va continuer à faire des dégâts comme des répliques d’un tremblement de terre avec une ampleur considérable. Voyons ce qui se passe. On est emportés en ce moment. Dans ce cas là, il faut essayer de voir peut-être un petit peu au-delà, de voir certainement qu’il faudrait engager des réformes. Je pourrais même dire et osons les mots : une refondation peut-être du système politique français. C’est peut-être l’occasion.

Quatre mois de mensonge médiatique, est-ce que, comme le patron de l’UMP Jean-François Copé le disait, François Hollande a été candide ?

Ce que dit Jean-François Copé, c’est son jeu politique d’opposant de dire soit il a été candide, soit il savait et il était coupable d’une certaine manière, complice. Il l’enferme dans un dilemme qui n’est pas très confortable puisque évidemment dans le cas de la candeur, cela veut dire quelqu’un qui n’est pas capable d’aller au-delà d’un certain niveau de responsabilité, de pouvoir contrôler son équipe. C’est assez terrible. Et puis dans le cas terrible de la complicité, évidemment là on rentre dans autre chose. C’est le jeu. Je ne peux pas vous dire ce que savait ou non François Hollande. Quand le président de la République vient à la télévision et vient vous dire « on ne savait pas » comme le Premier ministre hier soir, je ne peux en tant que citoyen que les croire et je ne demande qu’à les croire.

S’ils mentent à leur tour, là on est dans une totale autre dimension, mais je ne le pense pas. On doit croire le président de la République parce qu’il nous dit qu’il ne savait pas. Mais ce n’est pas simplement l’affaire Cahuzac. L’affaire que j’appelais le séisme touche bien plus largement que Jérôme Cahuzac, non pas parce qu’il y a d’autres personnes qui savaient, ça on verra, mais parce que cela met en cause profondément le système politique, cela met en cause l’éloignement de l’élite par rapport au peuple, cela met en cause un certain nombre de pratiques dans le milieu politique et au-delà du milieu politique par rapport au monde économique, à la presse etc.

Cela met en cause des pratiques qui sont désormais impossibles à poursuivre, de les poursuivre sans qu’il y ait des transformations. On est dans le cas d’une goutte d’eau qui maintenant met en cause directement l’ensemble du système tel qu’il prévaut depuis des années.

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