«Art Paris Art Fair» nous parle en russe

Connaissez-vous Alexeï Kallima, Dimitri Tsykalov ou Rostan Tavasiev ? Alors allez à la foire d’art moderne et contemporain Art Paris Art Fair pour goûter et acheter l’ironie, la critique et l’utopie des artistes russes. Parmi les 144 galeries de 20 pays présentes au Grand Palais à Paris se trouvent 12 galeries venues de la Russie et 20 autres galeries montrant 90 artistes russes, des années 1920 à nos jours, de l'activisme jusqu'au l'érotisme. A partir de ce jeudi 28 mars et jusqu’au 1er avril, l’ancienne anti-Fiac ambitionne de devenir la Fiac du printemps.

La cagoule rouge et la robe dorée avec l’inscription Freedom to Pussy Riot est une œuvre de Natalia Pershina Yakimanskaya de Saint Pétersbourg, présentée à la galerie américaine Blue Square. Sous son nom d’artiste Gluklya, elle conçoit une sorte de prêt-à-porter artistique et politique au service d’un art engagé qui veut chasser le président russe Poutine : « Je fais partie de ces artistes qui pensent que nous devons soutenir Pussy Riot. Les artistes doivent être à côté des faibles. L’art n’est pas pour la décoration. » A la question, s’il y a des gens en Russie susceptible d’acheter cette robe à 4200 euros, elle éclate de rire : « Non, naturellement pas. Nous voulons vendre cette œuvre ici et envoyer l’argent à ceux qui sont en prison. Ici en France, il existe un marché de l’art et les gens sont plus détendus avec ce genre d’œuvre. En Russie, les gens achètent seulement des jolies choses ou des œuvres des stars. »

L’art protestataire -si souvent cité dans les médias occidentaux- reste à Art Paris Art Fair minoritaire, comme sur la scène russe, affirme le commissaire général Guillaume Piens: « On a voulu éviter ces stéréotypes. Oui, il y a une tradition, il y a un activisme russe très fort comme l’avait fait aussi Vlad Monroe qui vient malheureusement de décéder et qui s’est transformé pour ses œuvres en Poutine, en Hitler etc. [Monroe a été retrouvé mort noyé dans la piscine de son hôtel à Bali à l’âge de 43 ans et devait se promener déguisé en Gérard Depardieu dans les allées du salon, ndlr] Et puis, il y a des gens comme Dimitri Tsykalov qui montre ici, suspendu au centre de la nef, ce spectaculaire cœur humain avec des racines et de la terre qui d’un seul coup nous fait toucher du doigt la profondeur de la culture russe. Il y a aussi l’importance du chamanisme, de l’icône, du colorisme dans la culture russe dont on ne parle jamais. C’est une culture qu’on a tendance à caricaturer. »

Les villages Potemkine

A l’entrée du Grand Palais nous accueille Façade, une installation monumentale du jeune duo moscovite Recycle. Pour Guillaume Piens, il s’agit d’une pièce emblématique et pour la foire et pour la Russie d’aujourd’hui : « Elle fait allusion aux ‘villages Potemkine’. Grigori Potemkine avait construit pour Catherine II des faux villages pour cacher la grande misère dans les campagnes russes. Cette pièce est un échafaudage qui supporte un filet plastique sur lequel s’inscrit une façade néoclassique. Elle suscite beaucoup de métaphores et questions. C’est une œuvre multiple qui donne bien le ton sur cette scène. »

Art Paris ne veut pas cacher la misère du marché russe qui est encore très hésitant et en gestation, mais qui existe, remarque Marina Gisich qui avait ouvert en 2000 la première galerie d’art contemporain de Saint Petersburg et l’une des premières en Russie. « Même aujourd’hui, il n’y a pas un véritable marché de l’art. Mais, petit à petit, nous allons réussir d’avoir un vrai marché, c’est pour cela nous continuons. Et j’ai beaucoup confiance aux collectionneurs russes. Il leur faut juste un peu de temps pour comprendre l’art contemporain. Pour cela, je les ai emmenés ici à Art Paris pour leur montrer comment cela fonctionne en dehors de la Russie. » Au Grand Palais, Marina Gisich présente Flowers, l’œuvre poétique et à petit prix (3000 euros) d’Aleksander Shishkin-Hokusai, 40 ans, metteur en scène et artiste contemporain. « Cette sculpture cinétique évoque des instants de plaisir, des souvenirs doux de notre vie. Des instants que cet artiste souhaite diviser et étaler en plein de petits moments pour les recycler et de nous les montrer dans un mouvement qui ne s’arrête jamais. »
 

L'éléphant et la balançoire

Même son de cloche à la galerie Pechersky de Moscou qui n’a que trois ans d’existence, mais beaucoup d’ambition. Elle présente l’étoile montante Rostan Tavasiev, 37 ans. Il a installé un éléphant prêt à sauter sur une balançoire qui envoie à son tour des lapins colorés s’écraser sur un mur à côté d’un tableau vide. L’artiste s’interroge avec Your place in the history of art (15 000 euros) si le but de l’art est d’entrer dans l’histoire. « C’est vrai, aujourd’hui en Russie, il n’y a pas de marché pour l’art contemporain, explique Anna Luneva, directrice de la galerie, mais nous travaillons et développons des choses. D’abord, il faut avoir des galeries et des artistes. Nous devons d’abord éduquer nos clients. »

Pour trouver une solution à ce problème, Sergey Popov, propriétaire de la galerie pop/off/art à Moscou à ouvert une filiale à Berlin. A Paris, il montre des œuvres de Gregori Maiofis, imprégnés de beaucoup d'ironie (Proverbes) et d'érotisme (Artiste et modèle). « Nous sommes, pour le moment, la seule galerie russe qui a une filiale en Europe. En même temps, nous faisons la promotion des artistes européens en Russie avec des expositions internationales. »

La photographie occupe une bonne place à Art Paris. Rena Effendi, l’artiste de l’Azerbaïdjan qui vit aujourd’hui au Caire, est l’une des figures montantes de la photographie russe. Owner of a shooting Osh park (2500 euros), son portrait d’une femme musulmane voilée, propriétaire d’un centre de tir et d’un fusil qu’elle arbore fièrement et en beauté, est à l’image de ce marché de la photographie qui se trouve en pleine expansion en Russie. « Pour les photos, le marché est plus facile, parce que c’est moins cher que les tableaux, confirme Vladimir Dudchenko de la galerie Grinberg Photos. Aujourd’hui, pour un photographe russe, la carrière nationale n’est pas très importante. C’est la carrière internationale qui prime. »

Le marché français et l’art contemporain russe

Alors, après l’exposition Contrepoint. L’art contemporain russe en 2010 au Louvre, le festival RussenKo au Kremlin-Bicêtre et l’exposition Futurologia à Nantes en 2012, le marché français est-il prêt pour l’art contemporain russe ? « Cela m’est complètement égal, rétorque la galeriste parisienne Anne de Villepoix. Elle présente des dessins en fusain du Tchétchène Alexeï Kallima pour 7 000 euros la pièce. L’artiste qui vit depuis 1994 à Moscou excelle dans un travail très politique, mettant en scène les émeutes qui avaient lieu à Moscou en 2010 : des jeunes en survêtement qui se bagarrent ou en train de faire des bras d’honneur. Ce qui m’intéresse, c’est de présenter ce que j’aime. J’ai déjà imposé Alexeï Kallima à certains collectionneurs qui l’ont découvert. J’en ai vendu un tableau tout de suite après l’ouverture de la foire. C’est à moi d’ouvrir ce marché. »

Pour le commissaire générale d’Art Paris Art Fair, « il y a un marché russe qui marche aujourd’hui, c’est celui de l’art dissident. Alors tout ce qui est Bulatov [né en 1933] ou Kabakov [né en 1933], c’est plus d’un million de dollar la pièce. Récemment on a vendu un lot d’œuvres de Kabakov à plus de 60 millions de dollars. Bulatov a fait lors d’une enchère plus de 900 000 euros. Voilà. »
 

En attendant, les anciens de l’art moderne restent aussi les valeurs sûres au Grand Palais. Mike Hawkman de l’Heritage international Art Gallery de Moscou y présente Le rythme du travail, la pièce maîtresse réalisée par Nikolay Zagrekov : « Il est l’un des artistes qui a été abandonné par le gouvernement russe en 1917. Il est devenu un artiste émigré russe. Il a travaillé à Berlin jusqu’à sa mort. Il a un style expressionniste très intense. » Prix affiché :520 000 dollars (407 000 euros).

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Art Paris Art Fair, du 27 mars au 1er avril, au Grand Palais à Paris.

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