Vous êtes la nouvelle directrice artistique du Cinéma du réel. Quelle est la nouvelle ligne artistique et éditoriale du festival ?
Le Cinéma du réel est un festival avec une identité forte, donc il ne s’agit pas de proposer des révolutions majeures, plutôt des petits changements liés à la forte volonté de valoriser le Cinéma du réel au milieu des festivals internationaux. Mon expérience se situe surtout en dehors de la France. C’est cela que je peux amener au festival.
Vous étiez codirectrice du festival documentaire dei Popoli à Florence. Quelle est la différence entre ce festival florentin et le Cinéma du réel ?
Les deux festivals se ressemblent, parce que ce sont deux festivals avec une longue histoire, avec le même point de départ. Après, il faut dire que la situation en Italie et en France est totalement différente. En Italie n’existe pas une vraie culture de cinéma documentaire. Il y en avait une, mais aujourd’hui il n’y a pas de système pour soutenir ce cinéma. En France, j’ai trouvé une qualité par rapport à la connaissance du cinéma documentaire impressionnante, aussi chez le public. Le système de diffusion, les possibilités de soutien pour le cinéma documentaire sont énormes comparées à l’Italie. En tant que programmatrice, ici à Paris, je peux travailler avec une grande liberté, essayer de faire de la recherche sans avoir un souci par rapport au public, à la capacité de comprendre les films.
Dans la compétition internationale, il y a des films des Pays Bas, de l’Italie, de l’Espagne, des Etats-Unis, de la Chine, du Chili, de la France…Quels sont les critères qui vous ont guidé pour faire la programmation : l’esthétique, l’écriture cinématographique, la description d’un monde ou de la société qui bouge ?
C’est un programme très varié. L’écriture prend une place forte dans le programme. Le point de départ est de considérer la qualité, choisir un bon cinéma, une interprétation de la réalité. Nous avons fait un travail collectif pour la sélection. J’ai l’habitude de travailler avec un comité de sélection important. L’idée est de choisir parmi les plus de 2 300 titres les films qui représentent le plus les tendances du cinéma documentaire.
Quels sont actuellement ces tendances ?
D’une côté, il y a une forte présence de l’autobiographie ou des récits liés à l’histoire personnelle, à la famille, à la recherche de ses racines. De l’autre côté, il y a sûrement un intense questionnement autour de la frontière entre documentaire et réalité. C’est intéressant à voir où sont les limites, jusqu’où on peut aller, qu’est-ce qu’est le documentaire aujourd’hui ? Pas mal de films dans notre sélection posent cette question.
Parmi les films dans la compétition internationale, il y a un film venu du Bangladesh qui raconte la vie et le combat quotidien d’une famille face aux catastrophes à répétition. Comment l’avez-vous découvert ?
C’est un film que nous avons vu au festival de Leipzig. C’est le pays de la production qui nous a intéressé. C’est un film qui a été réalisé grâce à l’aide des bourses de festivals européens, mais c’est un film qui continue la tradition ethnographique et qui a une belle qualité de cinéma.
Vous consacrez une rétrospective au cinéaste documentaire indien Anand Patwardhan. Qu’est-ce qu’il a donné au cinéma documentaire.
Il a donné beaucoup. Anand a vraiment fait un choix cohérent pendant toute sa carrière. Dès ses débuts aux Etats-Unis pendant le mouvement contre la guerre en Vietnam. Après, il est rentré en Inde. Il a toujours raconté les luttes, les mouvements populaires, les combats pour les droits de la femme, les questions religieuses, le fondamentalisme. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne renonce pas à construire ses films. La musique et l’art jouent toujours un rôle spécial dans ses films, comme instruments de cohésion populaire. Quelque fois on se retrouve en face d’une sorte de « music hall », parce que la musique réussit toujours à raconter des histoires et à créer des liens dans ses films.
Il raconte les luttes contre les ravages des castes, la corruption, les sans-abris, mais quel est l’impact d’un cinéaste documentaire dans un pays de 1,4 milliards d’habitants doté d’une énorme fabrique à faire des images nommée Bollywood ?
Son impact en Inde est important. Il a une activité continue de production et de promotion de son cinéma. Les projections de ses films en Inde font toujours des salles pleines avec des spectateurs enthousiastes. Il organise aussi souvent des contre-festivals, il est un véritable activiste. A l’étranger, il fait surtout connaître les détails des situations dont on ne parle jamais. C’est un auteur majeur qui est beaucoup plus connu dans les pays anglophones tandis qu’en France où son film Bombay : Our City a gagné le prix du Cinéma du réel en 1986, il reste inconnu.
Un documentaire congolais concourt dans la compétition des premiers films. Atalaku de Dieudo Hamadi [qui avait présentéen 2010 avec Divita Wa Lusala Dames en attente] raconte l’élection présidentielle de 2011 en République Démocratique du Congo à travers un pasteur sans-le-sous. Est-ce un documentaire politique ou seulement sur la politique ?
Je ne dirais pas que c’est un film politique. C’est politique de raconter qu’est-ce qu’est une campagne électorale au Congo. Ce n’est même pas un film d’atmosphère, mais un film d’émotion. C’est un regard de quelqu’un qui connaît la situation sur place et pour cela c’est si fort. C’est un film politique dans le sens qu’il aborde l’énorme problématique par rapport aux pays qui ont été colonisés et qui essayent d’avoir une forme de démocratie.
C’est le seul film africain programmé. Pourquoi ?
Il y a aussi un film nord-africain [le court métrage Défense d’aimer de l’Egyptienne May el Hossamy qui aborde la question du mariage mixed entre musulmans et chrétiens, ndlr]. Atalaku est le seul film de l’Afrique subsaharienne. C’est difficile de faire le choix entre 2 300 films et je pense qu’il faut de plus en plus chercher des films dans des pays qui ont une production mineure.
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Découvrez le programme de la 34e édition du Cinéma du réel, au Centre Pompidou à Paris, du 21 au 31 mars.