La traversée du réel

Le « Cinéma du réel » au Centre Pompidou (18-30 mars) est l’un des plus grands festivals de films documentaires du monde ; au rendez-vous de la 32e édition, de nombreux inédits venus de tous les continents. Dans le palmarès 2010 figurent plusieurs films africains : Une mention spéciale pour "Atlantiques" de Mati Diop (France)  et « Dames en attente » de Dieudo Hamadi et Divita Wa Lusala (République Démocratique du Congo) récompensé par la Bourse Pierre et Yolande Perrault.

« On n’a jamais vu quelqu’un dire : Au revoir, je pars mourir ». Dès la première séquence du film, le message est clair. « Atlantiques » de Mati Diop parle de Serigne, jeune homme de 20 ans qui quitte sa famille pour se mesurer aux vagues hautes comme des immeubles. La pirogue peut se briser, la destination finale et fatale reste la même. En wolof il rajoute : « Ici, il n’y a rien, que de la poussière… La pire chose qui puisse t’arriver, te déchirer le cœur, c’est d’atteindre ta destination, puis d’être reconduit au Sénégal. » C’est de la poussière qu’ils ont mise sur sa tombe le 23 décembre 2008.

« Un mystère qui me hante beaucoup »

Mati Diop avait appris sa mort pendant le montage du film, mais pour elle, ça reste un documentaire : « Le mot hommage est quelque chose qui me gêne. Ce serait plutôt un film qui me permet d’entretenir un rapport plus intime avec ces jeunes Sénégalais et de m’approcher d’un mystère qui me hante beaucoup : cet acte de traverser, de se confronter à la mort, à cet âge-là. » Mati Diop, née il y a 27 ans à Paris, viens « à la fois d’ici et d’ailleurs, du Sénégal ». Elle trouve « obscène » la manière dont les médias parlent des voyages clandestins, réduits à des chiffres et au nombre de morts. Plutôt qu’avec une école de cinéma, elle aiguise son regard avec la caméra en autodidacte, à travers des résidences d’artistes et formations courtes. Une démarche qu’elle partage avec de nombreux réalisateurs africains.
 

Dames en attente pour la liberté
 

Le film « Dames en attente » de Dieudo Hamadi et Divita Wa Lusala montre une maternité à l’image d’une société qui déraille : des femmes viennent d’accoucher et sont retenues avec leur bébé en otage : elles ne sont pas en mesure de payer la facture car leur mari, fonctionnaire, subit des retards de salaire. Dans le bureau de l’administratrice s’entassent alors des chaînes hi-fi, téléviseurs, bracelets et autres gages laissés par les femmes pour retrouver leur liberté. Ce film documentaire est le résultat d’une master class à Kinshasa : un projet de formation et de développement du documentaire, conçu par le producteur congolais Djo Tunda Wa Munga, avec l’aide de la Coopération Internationale Française et Suédoise: « Nous, leur avons proposé,de former les jeunes artistes et de les laisser se questionner sur la démocratie au Congo aujourd’hui. Nous n’avons pas d’industrie pour faire un film aujourd’hui, ni de cinémas. Nous sommes dans la reconstruction. »

Le rapport à la France

Une nouvelle génération de cinéastes africains ? Edouard Waintrop, spécialiste du cinéma africain et directeur du festival international de films de Fribourg (Suisse) ), déclare « Oui, certainement » et ajoute : « Une chose m’a surpris : la majorité d’entre eux  travaillent encore avec l’aide de la France. Dans le cinéma de fiction, il y a une émancipation, parce qu’il y a aussi un marché local qui se développe, aussi bien au Nigeria - c’est connu, c’est un Nollywood – qu’au Burkina ou au Cameroun, alors que pour le documentaire, ce n’est pas du tout la même chose. »

Il n’y avait aucun film africain dans la compétition internationale du festival. Mais dans la catégorie des premiers films se joue une sorte de renaissance, selon le commissaire du « Cinéma du réel » Javier Packer Comin : « Il y a peu de films qui nous arrivent de cinéastes africains. Et surtout, ce qui est dominant pour l’instant, c’est une image de l’Afrique au travers du regard des cinéastes européens. Il y avait eu énormément de films tournés chaque fois avec une image ancienne de l’Afrique. Une image parfois même jusqu’à néo-coloniale. Ces films, je n’avais pas envie de les retenir. »

Comment décoloniser l’imaginaire ?
 

Javier Packer Comin exige un regard qui n’est pas celui d’un dominant : « Dans ces films, le spectateur est obligé de négocier sa place. Ce ne sont pas des films où le spectateur trouve sa place confortable dès le départ. Le spectateur est aussi acteur du film, il doit travailler sur lui-même. Mon regard de spectateur fait partie de l’expérience du film. Donc mon regard fait partie du film. »
 

Quelques films nous aident à sortir du formatage. « Le Collier et la Perle » est une sorte de lettre intime filmée, destinée à la fille du réalisateur sénégalais Mamadou Sellou Diallo. Il a documenté la grossesse et la souffrance de sa femme, la naissance de sa fille, la construction du corps féminin à travers des massages rituels, ainsi que la fabrication d’un collier de perles. « Quand on décide de faire ce film, on ne le fait pas simplement pour se dire, je vais le faire avant que les autres le fassent, avant que l’Occident le fasse, parce qu’ils ont les moyens. Il est évident que la France, l’Espagne et la Belgique réunies font plus de films en Afrique que tous les Africains réunis. Mais la question est : quelle est la portée de ces films ? », s’interroge le cinéaste.

 Une nouvelle vague du cinéma

Pour Mamadou Sellou Diallo, cette envie vitale d’aborder des questions existentielles peut servir de déclencheur pour tout ce qui manque aujourd’hui : les salles et l’industrie du cinéma. Il fait remarquer qu’il y a de plus en plus de Sénégalais qui ont eu des formations à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’université Gaston Berger au Sénégal et l’Université Stendhal de Grenoble ont créé une coopération pour un Master de Réalisation Documentaire de Création. « Il y a même des initiatives sénégalaises qui ont fait naître des compétences créatives au niveau du Sénégal. Ce sont autant de choses qui sont positives et qui participent à la naissance de quelque chose, à une nouvelle vague du cinéma. » 

 

 

 

 

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