Comment rendre le réel réaliste à l’écran ? Les trois réalisateurs de Palazzo delle Aquile ont misé sur le cinéma direct. Stefano Savona, Alessia Porto et Ester Sparatore ont suivi pendant un mois, jour par jour, nuit par nuit, l’occupation de la salle du conseil municipal de Palerme.
C’était le dernier recours pour ces dix-huit familles mal-logées à qui la Mairie avait refusé de renouveler l’hébergement en hôtel. Un mouvement démocratique pour le droit au logement commence : avec une banderole « Assemblée permanente » sur la façade et des sans-abris qui dorment et ronflent la nuit sur les bancs du conseil municipal. Mais l’espoir d’un changement ne résiste pas à la réalité politique : la fête religieuse prime sur les urgences sociales, les occupants commencent à se déchirer entre eux, prennent leurs distances à l’égard d’autres mal-logés et se sentent instrumentalisés à des fins politiques. On devine déjà, l’histoire tournera mal pour ces familles… « C’est un film sur la démocratie, avance Stefano Savona, l’un des trois réalisateurs. Sur la relation entre les gens et les élus, sur la représentation politique. Ce n’est justement pas un film social, c’est un film politique. C’est très important. C’est un film qui raconte la relation au pouvoir. »
Fragments d’une révolution
Le Prix Louis Marcorelles et la mention spéciale du Prix des Jeunes a été décerné à Fragments d’une révolution : la caméra bouge, des femmes voilées distribuent des pierres dans la rue et les manifestants crient : « Mort aux dictateurs ». Des images qui nous troublent. Nous sommes revenus en 2009, retombés dans la « révolution verte » en Iran. Ces images souvent floues et toujours volées recomposent en 57 minutes un mouvement sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Après les élections contestées de juin 2009, pendant huit mois, les Iraniens se sont emparés de la rue et de l’espace public via l’email, des réseaux sociaux et YouTube. Des centaines de vidéos ont été postées sur Internet pour témoigner de la révolte du peuple et de la répression sans pitié de l’Etat. Des réalisateurs iraniens qui craignent pour leur vie et qui veulent rester anonymes ont reconstitué cette révolte. Résultat : des réalisateurs qui ont fait un film sans utiliser eux-mêmes une caméra et des spectateurs qui sont transformés en acteurs. Lors de la soirée du palmarès, Raphaël Pillosio, producteur de Fragments d’une révolution, avait transmit un message des réalisateurs. « Ils remercient tous les anonymes qui ont participé à ce film, par le fait d’avoir filmé, envoyé des messages par mail. Pour eux, la lutte continue, même si, aujourd’hui, il y a moins d’images qui se font, il y a une situation en Iran qui est de plus en plus difficile et qu’il faut continuer à essayer de trouver une forme de lutter et de témoigner de ce qui se passe en Iran. »
Le documentaire aide à regarder le monde
Est-ce que le documentaire est dépassé face à l’actualité brûlante au Japon, aux pays arabes, à la Côte d’Ivoire ? « Pas du tout, rétorque Javier Packer y Comyn, le directeur artistique du Cinéma du Réel. Le temps du documentaire, c’est un temps du recul. Fragments d’une révolution, ce sont les mêmes images que vous avez pu retrouver dans un flux d’informations, il y a un an et demi. Aujourd’hui, ils deviennent matière pour un film documentaire. Le piège de l’actualité est ce qu’il y a un flux d’images. Le documentaire peut venir après pour donner de la densité. Il permet de nous aider à voir ce qu’on n’a peut-être pas vu dans l’immédiaté de l’actualité. Le documentaire ne nous donne pas simplement une information, mais il nous aide à regarder le monde. Il nous développe un regard qui développe aussi une manière d’être au monde. Un Festival, c’est un lieu de résistance. Se former le regard est devenu extrêmement important aujourd’hui, pour nous aider de ne pas polluer notre regard par les flux d’images. »
L’Autisme porte Une veste tranquille
Le documentaire suisse Eine ruhige Jacke (Une veste tranquille) a reçu la mention spéciale du Prix Joris Ivens dans la catégorie Compétition Internationale Premiers films. Le réalisateur Ramón Giger, 29 ans, a réussi à dépeindre avec beaucoup de sensibilité et subtilité un portrait d’un foyer spécialisé dans l’accueil d’autistes. Sur arrière-plan du magnifique paysage du Jura suisse, on suit la relation entre le jeune adulte autiste Roman et son pédagogue et tuteur en foresterie Xaver. Le film montre l’impossibilité de communiquer « normalement » entre eux, alterne des images tournées par le réalisateur et des séquences mouvementés tournées par l’autiste, mais jamais il prétend de percer le mystère de l’autiste. « Jusqu’à un certain moment, j’avais ce sentiment, rapporte Ramón Giger, mais je me suis rendu compte que c’était une illusion. Je ne dirais pas que j’ai réussi à documenter sa perception du monde. » Une position humble qui fait grandir le récit du film.
Un Danton de la cité des 3 000
La Mort de Danton a été récompensé par le Prix des bibliothèques. La réalisatrice Alice Diop nous emmène au cours Simon, la prestigieuse école de théâtre à Paris. Grâce à une approche claire et simple, elle réussit le portrait de Steve, issu de la cité des 3 000 d’Aulnay-sous-Bois. Un banlieusard qui a la rage de devenir acteur pour jouer le rôle de Danton. Avec un bouchon de champagne dans la bouche, il se donne du mal pour sa diction. Il s’affronte aux préjugés de ses camarades et au professeur qui lui abonne aux rôles des noirs et se heurte à une France qui se défend bec et ongles contre un Danton à peau noire.
La Croix et la Bannière
La catégorie Contrechamp français était peuplée de documentaires très divers. Doux amer est le journal filmé de Matthieu Chatellier qui se retrouve à 33 ans diabétique. Dans Elégie de Port-au-Prince, Aïda Maigre-Touchet parcourt la ville meurtrie par le séisme à côté de Dominique Batravaille. Le poète ose de parler de « tremblements de joie devant les tentes » en suscitant l’imaginaire d’une ville qui n’existera que dans l’imaginaire. Marie Dumora nous fait découvrir La Place dans les Vosges, dans l’Est de la France. La réalité d’une vie de Manouche, tant décriée en 2010. Le documentaire le plus « exotique » de la compétition a été tourné par Jürgen Ellinghaus qui ausculte sa ville natale Beverungen, dans la région Westphalie. Un ovni cinématographique qui ne juge
pas, ne démontre pas, mais décrit et décrypte les traditions et les mœurs de cette petite ville en Allemagne de l’Ouest. La Croix et la Bannière nous embarque dans une fête des tireurs qui mobilise un quart de la population masculine. Un rite digne d’une autre époque, avec des nostalgiques de l’Empire et ses traditions militaires inavouées. La musique militaire et le pas de l’oie côtoient la bière et la discipline. Le pot-pourri de tireurs au pas cadencé, l’aristocratie et l’autoritarisme vénérés, des politiques serviables et le haut clergé bénissant les fusils nous laissent pantois. Tout cela est très loin de l’image d’une Allemagne démocratique, ouverte et moderne. « Je pense qu’on découvre une Allemagne qu’on ne voit jamais, parce qu’elle n’est pas médiatisée à l’étranger, explique Jürgen Ellinghaus. On découvre une Allemagne rurale, une Allemagne profondément enracinée dans ses traditions catholiques et régionales. »
- Cinéma du Réel, du 24 mars au 5 avril au Centre Pompidou à Paris
- Le Palmarès du 33e Festival international de films documentaires