La plupart des Kurdes de France viennent des régions pauvres et enclavées de leur pays d'origine. A cause de leur faible niveau d'études, beaucoup d'entre eux sont ouvriers du bâtiment, travaillent dans des ateliers de confection, ou bien ont ouvert des restaurants.
En général, ils se retrouvent à côté des Turcs dans les sandwicheries kebab pour jouer aux cartes ou discuter, parfois aussi dans les bureaux d'associations kurdes du 10e arrondissement de Paris, dans un quartier qu'ils appellent communément entre eux « la petite Turquie ». Parfois, des bagarres éclatent lors des soirées de matches trop arosées, dit-on. Mais dans l'ensemble, la communauté kurde est tranquille et vit en harmonie avec les Turcs. Beaucoup se disent intégrés, se sentent désormais Français avant tout.
Une communauté intégrée, discrète, soudée certes, « mais pas toujours d'accord », constate Nisam, un patron de bar. « Dans une famille de Kurdes, s'il y a quatre personnes, il y a au moins cinq opinions différentes », résume ce Kurde d'origine iranienne. Pour cet ancien réfugié politique qui a fait de la prison à Téhéran - pour son militantisme de gauche -, si la « cause nationaliste semble sympathique, pour nous elle se rapproche de celle des Palestiniens. Ceux qui la défendent sont loin d'être des agneaux. »
Paris, au cœur du rêve kurde
Etrangement, c'est en France, à la conférence de paix de Paris (1919) que se décida le sort des Kurdes. Un an plus tard, le Traité de Sèvres prévoit la division de l'Empire ottoman et évoque notamment la possible autonomie des provinces kurdes de Turquie, d'Irak et de Syrie, avec à terme la perspective d'un État kurde indépendant. Mais en 1923, le Traité de Lausanne, signé après le refus du précédent traité par Mustafa Kemal, père de la République de Turquie, a définitivement enterré ce projet d'autonomie kurde.
Beaucoup d'artistes, qui ont fui la Turquie pour se réfugier en France, ont développé un travail militant. Kudret Gunes est une cinéaste kurde qui a beaucoup travaillé sur l'une des grandes figures de la lutte kurde, Leyla Zana. Pour la cinéaste, ce qui caractérise les Kurdes en France, c'est leur discrétion. « Ils ont peur de parler, ils ont fui la Turquie, ils ont quitté leur terre pour fuir les guerres. Comme le kurde était une langue interdite, la plupart s'exprime en turc. En général, ils s'intégrent mieux que les Turcs, d'abord parce qu'ils sont moins religieux et plus ouverts. Ce sont des alevis, dans notre culture, la femme est libre. »
Et la cinéaste de continuer : « Malheureusement, les Kurdes sont obligés de faire profil bas, car on les surveille. Mes films sont clairement boycottés, parce que je dénonce un peu les atteintes aux droits de l'homme en Turquie, et que la France préfère conserver de bonnes relations avec la Turquie qui pourrait intégrer un jour l'Union européenne. »
Une diaspora solidaire
En France, la diaspora kurde reste attachée au vieux rêve de reconnaissance. A défaut d'indépendance, de création d'un Etat kurde, on préfère parler d'autonomie. Et beaucoup espèrent encore un jour pouvoir retourner sur leur terre. « L'époque de l'impôt révolutionnaire est révolue, celle où le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)* obligeait les uns et les autres à participer financièrement à la lutte armée », explique Rusen Verdi de l'Institut kurde de Paris.
« En revanche, poursuit-elle, les gens continuent d'envoyer des dons à la cause. De vraies tensions, je ne pense pas qu'il y en est. Il y en a eu, dans les années 1990 surtout, des dissenssions politiques et des affrontements violents. Mais ça fait bien longtemps qu'il n'y a pas eu de conflit interne. C'est la presse turque qui essaye de faire croire à cette thèse. Ce sont des gens engagés, donc c'est clair qu'ils ont les yeux dirigés vers la Turquie quand il y a des affrontements. On les voit souvent défiler dans la rue à Paris. »
Après ce triple assassinat, les souvenirs de règlements de compte ont ressurgi, et beaucoup de Kurdes ou de Turcs ont préféré fermer leurs commerces. Ils restent terrés chez eux, par crainte de faire l'objet de représailles.
* Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est considéré comme une organisation terroriste par l'Union européenne, les Etats-Unis, l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Turquie.