RFI : Aujourd’hui, Marseille se présente comme capitale européenne de la culture. Jusqu’ici certains observateurs ont parlé d’une ville sinistrée culturellement.
Boris Grésillon : Depuis 1995 et l’élection du maire Jean-Claude Gaudin, la culture a été effectivement délaissée. Malheureusement, Marseille, du point de vue culturel, est devenue une ville quand même un petit peu sinistrée. Mais il ne faut pas aller trop vite en besogne, parce qu’il y a des choses assez inattendues que Jean-Claude Gaudin a soutenues, comme par exemple la Friche de la Belle de Mai. On ne pouvait pas s’attendre à ça. Donc, la mairie de Marseille a subventionné ce lieu alternatif. Mais bon…à part ça, il faut quand même dire que de tous les points de vue – les musées notamment et le tissu culturel marseillais en général – depuis 1995, la ville est assez sinistrée. Surtout si l’on considère que Marseille est la deuxième ou troisième ville de France. Et ce qui est peut-être le plus grave, c’est que depuis 1995, on ne dinstingue aucune vision pour la culture.
Vous parlez d’une politique culturelle ?
Oui, d’une politique culturelle qui fixerait des lignes pour l’avenir. Je ne dis pas que c’est facile. Vu que c’est une ville très pauvre et qu’on ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier – c’est absolument impossible de financer à la fois l’opéra, le théâtre, les musées, la danse, et que sais-je encore – on est obligé de faire des choix. Mais justement, la politique, c’est quand même bien faire des choix. Finalement, ce que n’a pas fait Jean-Claude Gaudin, c’est de faire, d’assumer, et d’expliquer des choix culturels.
Quelles sont les conséquences ?
Il y a une espèce de saupoudrage tout à fait inefficace, qu’on a beaucoup ressenti au niveau des associations. Il y a tout un tas de micro-associations socioculturelles ou culturelles, ou pseudo culturelles à Marseille. C’est très bien de les faire vivre, mais ce n’est pas ça qui va donner à Marseille son rayonnement culturel. Marseille n’a vraiment pas beaucoup d’atouts culturels, mais elle en a un. C’est le rap. Et la scène rap marseillaise, qui est quand même portée depuis vingt ans par le groupe IAM – mais pas seulement, aujourd’hui, il y a plein de petits frères et sœurs d’IAM – eh bien, cette scène marseillaise, depuis vingt ans, n’est même pas portée par la politique, elle n’est même pas identifiée. Mais volontairement ! C’est quand même grave, parce que ça veut dire qu’il n’y a, à l’heure actuelle, pas de festival hip-hop ou rap à Marseille. Il n’y a pas non plus de grandes salles de concert susceptibles d’accueillir toute cette scène. Cela crée une frustration chez la jeunesse, dans les quartiers nord. Et ça, ce n’est quand même pas très bon.
Vous parlez des quartiers nord très pauvres et violents de Marseille ?
Ce n’est pas qu’un cliché. Ils sont effectivement très pauvres et quand même assez violents. Et deuxièmement, des groupes comme IAM – et ça, c’est une aberration – ne se produisent plus à Marseille. Ils tournent partout en France et dans le monde, mais ne se produisent plus à Marseille, faute de salles !
La vision de Marseille-Provence 2013, est-elle adéquate aux besoins d’une ville comme Marseille, d’une métropole comme la Provence ?
C’est une grande question qui est un peu complexe. Tout simplement, parce que l’événement n’a pas encoure eu lieu. Par définition, on ne peut pas savoir si un spectacle marchera, si une exposition va rencontrer son public…
Bernard Latarjet, l’ancien président de Marseille-Provence 2013, avait présenté le projet en disant que c’est la ville qui en a le plus besoin ! L’année Capitale, répond-elle à la commande ?
C’est toute l’intelligence de Bernard Latarjet. En disant cela, il disait tout et il ne disait rien. Il prenait un risque mais un risque calculé : d’avouer et même de mettre en avant les faiblesses de Marseille. De dire à la Commission européenne : nous – ville pauvre, ville faible, ville endettée – c’est nous qui en avons le plus besoin. Qu’est-ce qu’on peut mettre derrière ces « besoins » ? Oui, Marseille est sous-équipée en équipements culturels. Est-ce que ce sont des besoins touristiques ? Evidemment. Est-ce que ce sont des besoins en termes de retombées économiques et touristiques ? Evidemment. Des besoins en termes sociaux, d’animations de quartiers par la culture, par des événements culturels ? Evidemment. Je passe sous silence les besoins en termes de marketing urbain, de marketing territorial en termes d’images positives, de rayonnement, de renouvellement urbain. Ce qui va être le cas de l’opération « Marseille-Provence 2013 », adossée sur l’opération « Euro-Méditerranée ». Donc, ça fait beaucoup de besoins. L’intelligence de Latarjet a été de ne pas préciser ces besoins !
Quel est votre diagnostic avant le lancement de la Capitale européenne de la culture ce 12 janvier ?
Je pense qu’il y a un effort réel qui a été fait sur l’adéquation du programme « Marseille-Provence 2013 », au territoire marseillais. Et ce n’est vraiment pas évident, parce que le territoire marseillais ou provençal, il est extrêmement hétérogène, d’un point de vue social, politique, historique, et j’en passe. On ne peut absolument pas comparer Marseille la portuaire et la populaire, à Aix la bourgeoise, alors que les deux villes ne sont séparées que par trente kilomètres. Et pourtant, MP-2013 parvient à essayer de répondre aux attentes des habitants des différents territoires, à créer des événements fédérateurs. Je pense notamment – en tant que géographe cela m’intéresse – au projet du GR13, ce chemin de grande randonnée qui va dessiner une grande boucle de 360 kilomètres sur tout le territoire, en passant justement, par des endroits que les Marseillais, ou les Aixois, ou les Arlésiens eux-mêmes, ne connaissent pas. Cela me paraît être une magnifique idée.
Autre exemple, MP-2013 n’a pas oublié les fameux quartiers nord de Marseille, ou plus généralement les quartiers difficiles du territoire de Marseille-Provence. Depuis un certain temps déjà, on a installés les Quartiers créatifs, des espaces où travaillent un ou deux artistes avec la population, avec les habitants. Cela a commencé avant MP-2013 et ça va continuer après.
Vous vous réveillez le 1er janvier 2014. Que se passe-t-il ?
La vraie question qu’on peut se poser dès maintenant, c’est de savoir ce qui va rester de 2013. Et là, on a un modèle Lille 2004. Cela a très bien fonctionné, parce que l’équipe qui a animé la candidature, dès l’année 2000, a pensé l’après-2004 : Lille 2006, Lille 2009, Lille 2012, les fameuses biennales ou triennales. Or, Marseille n’en est pas du tout là ! L’horizon d’attente des élus marseillais c’est mars 2014, les élections municipales. Donc ma crainte est la suivante : tout ne s’arrête peut-être pas au 31 décembre 2013, mais en mars 2014, au moment des élections municipales. Et qu’ensuite tout le monde reparte sur ses mauvaises habitudes de querelles de clochers.
Le programme Marseille-Provence 2013.
Le week-end d'ouverture de la Capitale européenne de la culture aura lieu ces 12 et 13 janvier.