Danielle Stefan : «Nos édiles n’ont aucune ambition culturelle»

Native de Marseille, elle y travaille depuis quarante ans comme comédienne, chanteuse, metteur en scène ou chef de cœur. En tant que responsable syndicale et élue nationale du SFA-CGT, Danielle Stefan dénonce une vision touristique et économique de la culture qui dominerait l’année de la capitale européenne de la culture. Elle se montre très critique envers le concept de Marseille-Provence 2013. « Hors les grandes expositions, qu’est-ce qui restera après 2013 ? On n’en sait rien ». La situation des artistes ? « C’est la course à la débrouille ». Entretien.

Etre capitale européenne de la culture, cela veut dire que partout le budget culturel baisse, sauf à Marseille ?

[Rires] Je ne sais pas si je confirme cela. Le budget Marseille-Provence 2013 (MP-2013) est un budget en grande partie issu du privé. C’est ce que nous avait dit Bernard Latarjet [l’ancien président de MP-2013], lorsque nous l’avons rencontré il y a un an. Il nous a également indiqué que c’était faux si les collectivités territoriales déclaraient qu’il n’y avait plus assez de budget pour les projets parce qu’ils investissaient dans l’année « capitale ». Le budget annoncé pour MP-2013 est de 91 millions d’euros. Par contre, les budgets des collectivités territoriales sont en baisse.

MP-2013, est-ce le jackpot pour les artistes ?

[Rires] Ma réaction est de dire : ça se prépare. Pour que cela soit effectivement un bouillonnement, il aurait fallu le préparer pendant les années qui précédaient. Ce qui n’était pas le cas puisque les budgets n’ont pas cessé de baisser. Il y avait appel à projets, mais tout s’est fait au sein de l’organisation MP-2013 dans le plus grand secret puisqu'il n’y avait pas de représentation d’artistes dans l’association. Nous n'avons eu des sollicitations de participation que depuis six mois ! Le terme employé était « artiste ressource ». Moi, par exemple, j’ai été appelée pour participer à un événement lors de la soirée d’ouverture, mais d’une drôle de manière. Je suis chef de chœur d’une chorale amateur et c’est mon chœur amateur qui est sollicité.

Et pour la scène théâtrale professionnelle ?

Ce que tout le monde autour de nous constate, c’est que la plupart des choses qui vont être programmées sur les scènes marseillaises, issues du tissu culturel marseillais ou du département de la région, ce sont des choses qui existaient déjà avant ou qui auraient existé de toute façon aussi hors MP-2013 et à qui on a donné un label. Ils font partie du programme sans avoir obtenu des moyens supplémentaires.

Certains reprochent au maire Jean-Claude Gaudin une vision traditionaliste de la culture. Quel est le point culturel fort de Marseille au niveau international ?

Dans les musiques actuelles, il y a vraiment quelque chose qui se développe à Marseille. Mais cela se développe hors volonté politique. On a l’impression que nos édiles, notre personnel politique, n’ont aucune ambition culturelle et que ce sont les artistes qui, malgré tout, maintiennent une ferveur de travail, mais avec des moyens qui diminuent. On voit tous les jours de plus en plus de difficultés. Depuis deux, trois ans, il y a de moins en moins de créations, les compagnies réduisent énormément à la fois le nombre des créations et l’ambition des créations. On fait de plus en plus de spectacles avec peu d’artistes, lesquels sont chaque jour plus nombreux à être à la limite de leur métier. C’est la course à la débrouille.

Avec l’ouverture de nouvelles institutions culturelles comme le Mucem, la culture jouera-t-elle un rôle plus important à Marseille?

Il y a effectivement de nouveaux lieux, de nouveaux musées. Il y a beaucoup d’expositions, vu que la situation des musées à Marseille était proche du point zéro. Ces dernières années, il y avait beaucoup de difficultés. La mairie s’est séparée de ses conservateurs, ce qui est lamentable. Actuellement, il semblerait qu’il y ait un grand accent mis sur le domaine des expositions, les arts plastiques, la photographie, sauf que, parallèlement, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur a supprimé cette année tous les budgets concernant les arts plastiques. Mises à part les grandes expositions qui sont annoncées, que restera-t-il après 2013 ? On n’en sait rien. En ce qui concerne les nouveaux musées : le Mucem est quand même un projet qui date de plusieurs dizaines d’années. Juste à côté, on a construit un autre musée dont les pouvoirs publics disent eux-mêmes qu’ils ne savent pas ce qu’on mettra dedans. Ensuite, on a le J1 sur le front de mer, un grand hangar transformé en lieu d’exposition. On sait d’ores et déjà qu’il sera fermé tout l’été parce qu’il n’y a pas le budget pour mettre une climatisation dedans.

Vous dénoncez une vision touristique et économique de la culture ?

Oui. Quand la ministre est venue à Marseille, elle a bien précisé que les « capitales » sont un coup de pouce économique pour la région concernée. En grande partie, c’est ça. Bien sûr, il va y avoir des événements culturels, mais beaucoup seront des professions de foi. La première chose qu’avait fait le conseil d’administration de MP-2013, c’était un appel général à bénévolat avant même d’avoir contacté les professionnels. Comme cela avait fait du bruit, cet aspect a disparu de la vision générale, sauf pour la soirée d’ouverture : La Grande Clameur est une idée intéressante qui devrait être une belle réalisation. Mais pour quelques professionnels qui vont encadrer l’événement et à qui on a proposé des budgets extrêmement serrés, la majorité des petits événements qui vont constituer La Grande Clameur ont été confiés à des associations bénévoles ou amateurs. C’est un exemple parmi d’autres.

Selon vous, quel sera l’atout principal de cette année capitale pour la culture à Marseille ?

Je n’en sais rien. On verra à l’usage. Les informations précises sur le programme sont extrêmement récentes. Ce que je peux vous dire c’est que nous sommes très inquiets sur ce qui restera dans les caisses en 2014 et 2015.

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Le programme Marseille-Provence 2013.
Le week-end d'ouverture de la capitale européenne de la culture aura lieu ces 12 et 13 janvier.

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