RFI : Alors que l’accusation se retourne aujourd’hui contre le ministre, pensez-vous que Vincent Peillon a commis une faute en rappelant à l’ordre le directeur de l’Enseignement catholique ?
Alain Seksig : Non, il ne me semble pas que le ministre ait commis de faute. Il est dans son rôle, en rappelant que la classe ne peut pas être le forum. Elle ne peut pas être le lieu où se débattent toutes les questions de société. Et cela vaut, bien entendu, pour l’enseignement public comme pour l’enseignement privé.
Quels sont les risques de tels débats tenus dans le cadre scolaire ?
Ce n’est pas une question nouvelle. J’avais moi-même écrit un texte dans le quotidien Libération en 2001, après les attentats du 11 septembre, pour expliquer qu’évidemment, quand l’actualité submerge tout comme dans ces moments-là, il était possible et même souhaitable d’en parler avec les élèves dans la classe, parce qu’ils étaient eux-mêmes choqués par ces images. Mais je rappelais qu’il fallait la faire de manière raisonnée et raisonnable, dans un temps donné, et ne pas passer son temps à commenter l’actualité dans la classe.
C’est un problème ancien puisque même le ministre de l’Education nationale Jean Zay avait rédigé une circulaire en 1925 pour dire ceci : « J’invite à ne tolérer parmi les effectifs scolaires – c'est-à-dire dans la classe, dans le langage de l’époque – aucune caricature de nos querelles civiques, auxquelles les adultes suffisent. » C’est est bien dit, je trouve, et c’est toujours d’actualité.
Que craignez-vous ? Les dérapages ou les manipulations ?
Je crains absolument les deux. L’esprit critique de nos élèves est en formation pendant le temps de l’école. Ils n’ont pas à subir d’influence ni de propagande.
Bien entendu, ils peuvent, et c’est légitime, se poser des questions sur ce qu’ils entendent, sur ce que nous appelons « les débats de société ». Qu’ils posent les questions dans la classe ne me paraît pas un problème, et le professeur peut être amené à répondre, bien évidemment. Dans ces cas-là, il doit y répondre en fonctionnaire laïque, c'est-à-dire en exposant les données du débat, mais sans nous affirmer ses propres convictions.
L’intervention de Vincent Peillon replace ce débat au premier plan de l’actualité, à six jours de la manifestation organisée par ceux qui s’opposent au mariage pour tous. Ce n’est pas de très bon goût, mais c’est quand même du pain béni pour eux...
Si c’était comme vous dites du « pain béni », c'est à dire de la publicité pour l’enseignement catholique, ce serait bien la preuve, en tous les cas, que le ministre ne cherchait pas à rallumer la guerre scolaire. Sinon il s’y serait pris sans doute autrement.
L’école est vraiment un espace extraordinaire pour mobiliser les esprits, comme le rappelle la fameuse date de 1984 : on avait vu à l'époque la plus importante manifestation jamais organisée dans le pays, justement centrée sur cette question de l’enseignement privé.
Oui, 1984, je l’ai vécu également. Je me souviens des forces en présence et on peut dire que l’Histoire est passée par là, et que nul aujourd’hui n’a intérêt, ni même souhaite rallumer la guerre scolaire.
La question est-elle d’avoir des débats chauds sur l’ensemble des territoires ?
Il me semble, encore une fois, que la classe n’est pas le lieu du débat sur les questions d’actualité. Ça peut l’être ponctuellement de manière cadrée par les professeurs. Mais ce n’est pas le lieu. C’est le lieu des grandes interrogations qui peuvent être abordées par le truchement des disciplines.
Les professeurs, par le détour de la littérature, de l’histoire, de la géographie, peuvent aborder des grandes questions qui peuvent encore aujourd’hui faire l’actualité. Mais ce n’est certainement pas en organisant le « débat », comme si la classe était un lieu de débat démocratique au même titre que l’Assemblée nationale, par exemple. A mon avis c’est faire fausse route et se méprendre sur la mission de l’école.