En France, la pauvreté est un phénomène de masse

Il n'y a jamais eu autant de pauvres en France depuis 1997 puisque huit millions et demi de Français vivent avec moins de 964 euros par mois. « Un chiffre qui claque comme une gifle », a déclaré Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales lors de l'ouverture de la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté. Pour clore ces travaux qui durent depuis le mois de septembre, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annoncera ce mardi 11 décembre un plan d'action étalé sur plusieurs années car il y a urgence à mobiliser toute la société.

En France, en matière de pauvreté, tous les marqueurs sont dans le rouge. Il suffit de se rendre dans les centres de distribution alimentaire pour s'en convaincre : les files d'attente n'ont jamais été aussi longues. Parmi ces pauvres, qui préfèrent souvent dire « qu'ils sont dans le besoin », il y a des personnes âgées qui viennent, de préférence, aux heures creuses pour qu'on ne les remarque pas, des travailleurs pauvres qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts, des familles nombreuses et énormément de familles monoparentales. Tout particulièrement des femmes jeunes avec des enfants en bas âge : soit, elles sont au chômage, soit, elles travaillent à temps partiel car elles ont du mal à faire garder leurs petits. En France aujourd'hui, la pauvreté touche un enfant sur cinq : elle a de graves conséquences sur leur développement personnel, leurs acquisitions scolaires, leur confiance en l'avenir, leurs orientations professionnelles futures.

Pendant les ateliers de la Conférence nationale, certains ont recommandé de garantir des places en crèche à ces enfants en danger pour permettre à leurs mères de travailler, et de les prendre en charge autrement à l'école. Le but, c'est précisément d'éviter que des enfants ayant mal démarré dans la vie deviennent des jeunes, puis des adultes ancrés dans la pauvreté. D'autant que les jeunes sont devenus, en très peu de temps, une population particulièrement exposée à la crise : 150 000 d'entre eux sortent chaque année du système scolaire sans qualification et 25% des moins de vingt-cinq ans sont au chômage.

Le paradoxe du « non recours » au droit

Certains de ces jeunes et de nombreux adultes pourraient avoir accès aux minimas sociaux mais curieusement, ils ne les demandent pas. C'est un paradoxe méconnu, que les spécialistes appellent le « non recours » au droit, et qui désespère de nombreuses associations. Soit les personnes en grande difficulté ne savent pas qu'elles peuvent bénéficier de telle ou telle prestation par manque d'information, soit elles ne savent pas à qui s'adresser, comment s'y prendre, comment remplir leur dossier et renoncent à le faire, soit encore ces personnes ne veulent pas être stigmatisées et refusent d'être aidées. C'est un phénomène qui se répand et que le RSA, qui est une véritable « usine à gaz », a encore accentué. On estime que les deux tiers des bénéficiaires du RSA-activité par exemple ne le demandent pas.

En revanche, les locaux des associations caritatives ne désemplissent pas. L'affluence a même partout largement augmenté ces derniers temps, y compris à Médecins du monde, qui voit se dégrader l'accès aux soins des personnes en situation de précarité. On estime que 30% des Français ont fait le choix de reporter des soins (dentaires, ophtalmiques, mais aussi de base) ou des achats de médicaments qu'ils jugent trop coûteux. Du coup, les malades qui arrivent en consultation à MDM sont déjà très atteints, ce qui complique la prise en charge sanitaire et alourdit la facture.

En dehors de cette prise en charge physique et psychologique, ce qui coûte cher à la société, ce sont aussi tous les dérapages liés à la pauvreté et qui enferment les personnes dans une spirale infernale. On pense notamment au surendettement, qui ne cesse de progresser avec environ 210 000 dossiers déposés chaque année à la Banque de France et près de cinq millions de foyers potentiellement concernés. Ces problèmes financiers récurrents non seulement plombent le quotidien des familles, empêchent de partir en vacances ou de prendre des temps de repos, mais conduisent même parfois au suicide.

Basculer dans la pauvreté : une angoisse sourde

Avec la crise, les Français ont de plus en plus peur de tomber dans la pauvreté. C'est comme une angoisse sourde mais bien présente... C'est d'autant plus compréhensible qu'ils peuvent à tout moment connaître un accident de la vie : un deuil, un divorce, une perte d'emploi, une maladie. A partir de là, tout peut basculer, et très vite. Les Français n'ont pas besoin de statistiques officielles, données en plus avec deux ans de retard, pour constater ce qu'ils voient chaque jour dans la rue : les gens qui ramassent les fruits et légumes abandonnés à la fin des marchés, les hommes qui dorment dans les entrées d'immeubles et les cabines téléphoniques, les femmes qui font la manche à la sortie des magasins d'alimentation, les enfants qui font un seul repas consistant par jour, celui de la cantine. Un comble dans un pays aussi riche que le nôtre, qui connaît malgré tout 400 000 pauvres de plus chaque année.

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