Ce jeudi 22 novembre 2012, l’ancien président Nicolas Sarkozy a quitté le palais de justice de Bordeaux aux alentours de 21h30, après avoir été placé sous le statut de « témoin assisté ». Le juge Jean-Michel Gentil a bien des questions à lui poser sur un possible financement illicite de sa campagne de 2007. Plusieurs rendez-vous avec la généreuse milliardaire Liliane Bettencourt et son mari André (décédé en novembre 2007), intriguent la justice de même que la concomitance du rapatriement d’importantes sommes d’argent depuis la Suisse.
En février 2007 d’abord, celui qui était alors ministre de l'Intérieur et candidat à la présidentielle, rencontre André Bettencourt l’actionnaire principal de L’Oréal, à son domicile de Neuilly-sur-Seine. Entre lui et l’UMP les liens sont naturels et André Bettencourt n’est pas avare de son soutien. Après la mort d’André, le 19 novembre 2007, sa veuve Liliane s’est attachée à maintenir intacte cette tradition de sympathie bien comprise.
Coïncidences
Pour son interrogatoire, le juge Gentil s’appuie sur les déclarations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. Claire Thibout avait évoqué la remise, en janvier 2007, de 50 000 euros par Patrice de Maistre, homme de confiance des Bettencourt, à Eric Woerth, ancien ministre et ex-trésorier de l’UMP. Le 5 février 2007, alors que 400 000 euros en espèces sont livrés au domicile de Mme Bettencourt, Eric Woerth qui est à ce moment-là trésorier de la campagne présidentielle de l’UMP, prend un café avec Patrice de Maistre, deux jours après.
Puis, le 12 février, le même Eric Woerth voit Nicolas Sarkozy, comme cela est noté dans leurs agendas. Interrogé par le juge qui veut savoir s’il y a eu échange d’argent entre les deux hommes à ce moment-là, Eric Woerth nie en bloc : « La réponse est non. Il y a des hypothèses et la réalité… Et si aucune somme n’avait été remise ? Cela peut être aussi une hypothèse. Et cette hypothèse est la réalité ».
A ce point de l’enquête, Patrice de Maistre et Eric Woerth sont mis en examen comme le photographe François-Marie Banier et son compagnon Martin d’Orgeval. Ils sont soupçonnés d’abus de faiblesse psychologique sur la personne de Liliane Bettencourt dans le but d'en obtenir de l’argent et/ou de recel. Grand bénéficiaire de dons faramineux (près d’un milliard d’euros en dix ans) de la part Mme Bettencourt, François-Marie Banier est d’abord visé par une plainte contre x « pour abus de faiblesse » déposée en 2007 par Françoise Bettencourt-Meyers, la fille unique de la milliardaire. Liliane Bettencourt sera finalement placée sous tutelle de sa fille et de ses petits-fils en 2011.
Depuis le début de l’affaire, ce sont quatorze personnes en tout qui sont mises en examen dans les différents volets de ce dossier qui ont tous en commun de brasser des sommes où l’unité de mesure est le million d’euros. Au cours de l’instruction, François-Marie Banier et son compagnon Martin d’Orgeval seront incarcérés deux nuits à la prison de la Santé avant d’être interrogés par le magistrat instructeur alors que Patrice de Maistre sera maintenu, lui, 88 jours en prison au printemps 2011.
Le juge Gentil, à partir des auditions des témoins comme Claire Thibout mais aussi suite à des procès-verbaux d’enquêteurs, s’intéresse également à des voyages répétés effectués en Suisse par Patrice de Maistre et aux dates auxquelles ces derniers ont eu lieu. C’est ainsi que le président Sarkozy reçoit à l’Elysée, le 5 novembre 2008, Liliane Bettencourt et un de ses familiers.
Des agendas décortiqués
Huit jours plus tard, c’est au tour de Patrice de Maistre de se rendre dans le bureau du Nicolas Sarkozy au « palais », un rendez-vous noté dans les agendas du président qui ont été saisis lors d’une perquisition à son domicile le 3 juillet 2012. Or, coïncidence troublante, des retraits très importants sont faits à la même période sur les comptes suisses de la richissime héritière, révèle le quotidien Libération qui a eu accès aux PV des enquêteurs.
Les sommes dont les juges cherchent à élucider l'utilisation dans cette affaire aux multiples ramifications sont en effet importantes : entre 2007 et 2009, ce sont quelque quatre millions d’euros qui ont été rapatriés en liquide en sept fois depuis les comptes suisses des Bettencourt par M. de Maistre. Ce dernier a toujours affirmé avoir remis ces sommes à ses employeurs, à M. ou Mme Bettencourt.
Encore plus précis, les enquêteurs ont ciblé deux de ces opérations effectuées dans la foulée de la rencontre entre de Maistre et le président Sarkozy, le 2, puis le 8 décembre 2008, pour un montant d’un million d’euros à chaque fois. De l’argent dont la destination reste bien obscure : financement politique, dépenses privées ou indemnisation d’employés de Liliane Bettencourt qui la quittent à cette période, l’enquête ne permet pas pour le moment d’éliminer aucune de ces pistes.
Le juge Gentil en charge du dossier depuis décembre 2010 a donné ces derniers mois un sérieux coup d’accélérateur à son enquête. Il a multiplié les auditions, entendu plusieurs fois Eric Woerth comme Patrice de Maistre qui, lui, dément plus que jamais avoir remis des espèces à Eric Woerth ou à l'ex-président. L'audition de Nicolas Sarkozy, qui ne bénéficie plus de son immunité, devrait quasiment clore cette instruction hors du commun.