France : la liberté de la presse et l'islam au cœur de tous les débats

Les retombées de la manifestation antiaméricaine de samedi dernier 15 septembre, à Paris et les caricatures de Mahomet publiées mercredi dans Charlie Hebdo ont fait couler beaucoup d’encre en France. Elles ont en particulier relancé le débat sur la liberté de la presse. Certains veulent qu’elle reste totale ; d’autres en appellent à la responsabilité des médias.

Coïncidence, c’est alors même que le musée du Louvre ouvre à Paris un nouveau département consacré aux arts de l’islam sur plus de 1 000 m2, que les manifestations antiaméricaines de samedi dans le VIIIe arrondissement, suivies de la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo ont rouvert le débat sur la place de la religion musulmane dans la société française ; et par ricochet sur la liberté de la presse.

« Les commentaires […] ont sans surprise ressuscité depuis plus d’une semaine, un bon quart de siècle de fantasmes et de fantômes, de la fatwa anti-Rushdie jusqu’à l’affaire Mehra en passant par les voiles, les béguins et les burqas, les "caricatures de Mahomet", les "émeutes de banlieue" de 2005, les révolutions arabes, et tout le ressassé radical-national du postcolonialisme », écrit dans Libération l’éditorialiste Pierre Marcelle qui en appelle à résister « à cette confusion » mais qui craint « une reculade » du gouvernement sur son projet d’accorder le droit de vote aux étrangers non issus de l'Union européenne aux élections municipales.

Liberté et responsabilité

Même si un sondage démontre que les Français auraient changé d’avis sur cette question du droit de vote des étrangers en quelques mois (63% des sondés s’y déclarent désormais défavorables alors qu'ils étaient 55 % à se dire « pour » en décembre 2011), le débat du moment concerne d’abord et avant tout la liberté de la presse avec deux camps distincts qui ont une perception différente de la situation. Les uns estiment que l’on ne doit jamais transiger avec cette liberté fondamentale ; les autres émettent des réserves, estimant que le contexte doit prévaloir, surtout lorsqu’il est explosif comme c’est le cas en ce moment avec l’islam.

L’un des meilleurs exemples de cette opposition s’est exprimé dans les colonnes du Parisien daté de jeudi. Pour Malek Boutih, député PS de l’Essonne, il n'y a aucun sujet tabou. « Il n’existe pas, dit-il, de champ sacré où la religion, où tout autre domaine, serait inattaquable. Ce serait une régression pour toutes les libertés publiques. Si on recule sur ce point-là, ajoute-t-il, alors le risque est grand de devoir reculer un jour sur d’autres ». « D’accord pour respecter la liberté d’expression, lui rétorque le spécialiste des religions Odon Vallet, mais il faut faire preuve de sens des responsabilités et penser aux otages français au Mali, aux lycées et instituts français à l’étranger ».

Tahar Ben Jelloun dans une tribune libre publiée dans Le Monde daté de vendredi se livre pour sa part à une critique en règle des fondamentalistes islamiques qui « offrent le spectacle hideux d’un fanatisme exacerbé et meurtrier ». L’écrivain et poète marocain estime néanmoins que les caricatures de Charlie Hebdo sont « une provocation de trop » « Cela, qu’on le veuille ou non, écrit-il, participe de l’islamophobie qui gagne du terrain ». « Si ces nouvelles caricatures ont blessé des croyants, il faut s’adresser à la justice et tourner le dos à cette agitation », objecte-t-il.

L’huile sur le feu

Sur la même page du Monde, Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, regrette aussi que les caricatures de Charlie Hebdo viennent « jeter de l’huile sur le feu », l’expression de la semaine concernant ce débat. Il estime toutefois que « répondre à ces provocations gratuites constitue une vraie publicité pour des œuvres qui seraient sinon ignorées ». « Le problème de l’Islam, conclut-il sans concession, c’est d’abord ses musulmans. Et comme dit le proverbe arabe, poursuit-il, l’ignorant est plus dangereux envers lui-même que son pire ennemi ».

L'intellectuel musulman Tariq Ramadan a de son côté lancé un appel au calme et à la raison sur l’antenne d’Europe 1. Même s’il a enjoint Charlie Hebdo à assumer ses « responsabilités » et déploré « l’opportunisme » du magazine satirique, il a reconnu que les caricatures de Mahomet relevaient de « la liberté d'expression ». « Attaquer Charlie Hebdo en justice, manifester dans les rues de France, c'est totalement contre-productif », a-t-il considéré. Avant d’ajouter : « La seule attitude noble [...] c'est ignorer ces attaques, regarder au-dessus en disant : "nous sommes Français" [...]. Il faut dire aux populations, a-t-il conclu, qu'elles ont tort de réagir émotionnellement. »

Démarche salutaire ?

Juriste et directrice de recherche au CNRS, Marcela Lacub se range, elle, du côté de la liberté d’expression absolue, s’opposant ainsi au camp du « oui mais » en estimant que « l’initiative de "Charlie" est salutaire » dans une tribune publiée dans Libération daté de jeudi. Elle invite cependant la société française à se regarder dans le miroir en rappelant au passage que siffler la Marseillaise dans un stade entre aussi dans le cadre de la liberté d’expression. « Nous devrions profiter de l’indignation de ces islamistes pour nous regarder nous-mêmes, comprendre que quelque part, nous leur ressemblons (…) sauf que nous mettons (à la place du prophète) d’autres valeurs, d’autres symboles, d’autres idées. »

Instigateur de la polémique en tant que directeur de Charlie Hebdo, Stéphane Charbonnier (dit Charb), va, lui, jusqu'au bout de sa logique. Dans cette même page de Libération, il regrette que le gouvernement ait interdit les manifestations prévues samedi. « Tout le monde, écrit-il, devrait pouvoir manifester en France, y compris les salafistes ». Charb en profite également pour envoyer valser le chapeau qu’on veut lui faire porter. « Dans cette affaire, insiste-t-il, je ne me sens pas responsable des conséquences éventuelles ». « Ce n’est pas moi, poursuit-il, qui vais prendre une kalachnikov ou une pierre pour écraser un crâne dans une ambassade. Ma seule limite, ma responsabilité, conclut le directeur de Charlie Hebdo, c’est la loi française ».

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