C'est l'épilogue d'une bataille engagée il y a un an. Le radical de gauche, Thierry Braillard, dissident qui revendique son appartenance à la majorité présidentielle, a été élu député de la 1ère circonscription du Rhône ce dimanche, avec 53,78% des voix. Comme en 2007, où il avait l'investiture PS, Braillard affrontait au deuxième tour l'étoile montante de la droite lyonnaise, Michel Havard. Mais cette année, la vague présidentielle a joué en sa faveur.
Dans cette circonscription du centre de Lyon, deuxième agglomération de France, le combat des législatives laissera des traces à gauche. Plusieurs électeurs croisés ce dimanche à la sortie de l'isoloir ont voté sans connaître tous les tenants et aboutissants du combat : « J'ai voté Braillard pour donner une majorité au changement », confiaient ainsi deux personnes, sans savoir qu'il existait un autre candidat de la majorité.
Car si Thierry Braillard siègera avec la majorité, il n'était pas le candidat officiel du parti présidentiel. Il a réussi un tour de force en se glissant au deuxième tour. Cette histoire en dit long sur la nature des élections législatives, ce scrutin hybride entre enjeux locaux et nationaux.
Circonscription réservée à EELV
Pendant l'été 2011, dès la pré-campagne élyséenne, l'adjoint aux sports de Lyon, Thierry Braillard, sillonne les immeubles en porte-à-porte, martelant son message : « Je suis le futur candidat du PS aux législatives à Lyon, et je viens vous parler du leader de mon parti Jean-Michel Baylet, qui participe aux primaires citoyennes. »
Objectif pour lui : surfer sur la dynamique socialiste engagée pour rafler un siège de député grâce à l'appui du PS. Le plan, légitime, est piloté par le maire socialiste de Lyon, Gérard Collomb, qui souhaite envoyer un fidèle à l'Assemblée. Mais l'accord électoral scellé entre le PS et Europe Ecologie-Les Verts chamboule très vite ce scénario.
En visite à Lyon pendant la campagne, François Hollande confirme, devant Gérard Collomb, qu'il respectera l'accord passé au niveau national entre son parti et EELV pour les législatives. Traduction locale : l'investiture du PS dans la 1ère circonscription est accordée à un écologiste, le pédagogue Phillippe Meirieu.
Gérard Collomb, qui entretient des relations houleuses avec certains écologistes (et la suppléante socialiste choisie par Meirieu), est furieux. Il plaide pour une plus grande flexibilité locale dans la désignation des candidats.
Deux ministres contraints de se réfugier dans un bar
Surtout, le maire de Lyon se lance pleinement en « dissidence », pour jauger ses forces en vue des municipales de 2014. Il demande à Thierry Braillard de maintenir sa candidature, contre le candidat officiel, et va tout mettre en oeuvre pour semer le doute. Le logo du PS et le slogan hollandiste apparaissent sur les documents de propagande électorale de Braillard, entraînant une contre-attaque judiciaire de Meirieu, finalement infructrueuse.
C'est la guerre : à la permanence du candidat écologiste, les logos du PS sont arrachés par défiance (lien vers un site par abonnement). Au niveau national, le PS tente de mater la dissidence en excluant la suppléante socialiste de Braillard, faute de pouvoir exclure le maire de Lyon (trop gros poisson), ou encore le candidat lui-même (non-membre du parti). Au niveau départemental, les instances du PS temporisent, pour ne froisser personne.
Sur les affiches de campagne, Gérard Collomb va jusqu'à pavoiser au côté de son candidat, épaules devant les siennes, alors qu'il n'est même pas suppléant. Le camp de Meirieu se met à parler de « frêchisation », du nom de l'ancien maire de Montpellier, le sulfureux Georges Frêche.
Sur le terrain, les militants de Collomb torpillent les sorties de Meirieu. Notamment la venue de deux ministres : Cécile Duflot et Benoît Hamon, contraints de se réfugier dans un bar et d'écourter leur visite de soutien à Meirieu pour éviter de se faire siffler par des militants socialistes locaux face caméras.
« Lequel choisir ? »
Gérard Collomb, lui, accélère : à chaque occasion, il tacle les dirigeants du PS, et martèle que Braillard sera le meilleur défenseur des dossiers lyonnais. Partout où il bat la campagne, Thierry Braillard répète qu'il est « le candidat de François Hollande soutenu par Gérard Collomb ».
Le jour du premier tour, la confusion est à son comble. « Trois électeurs sont venus me voir avec deux bulletins pour me demander lequel était celui du PS, confie Paul Raveaud, un président de bureau de vote aubryste, soutien officiel de Meirieu. En tant que président, je ne pouvais pas leur dire, je les ai renvoyés chez eux pour qu'ils regardent les professions de foi. Mais les deux avaient le logo du PS. »
Le 10 juin, le député sortant Michel Havard finit premier avec 31,42% des voix. Le dissident Thierry Braillard est second avec 26,41%, devant le candidat PS issu d'EELV (18,36%), contraint de se retirer pour ne pas pénaliser la gauche. L'ancrage local de Braillard et la notoriété de Collomb ont suffi.
Arrivant à la préfecture le soir même, Meirieu rencontre Collomb, qui se moque de lui. En retour, l'écologiste tacle sans retenue le maire devant la presse. (voir ci-dessous la déclaration de Philippe Meirieu, et ici la déclaration de Thierry Braillard)
Réaction de Philippe Meirieu après sa défaite par Lyon Capital LIVE
Dans les jours qui suivent, Thierry Braillard reçoit un soutien de taille : Jean-Jack Queyranne, président socialiste de la Région (voir vidéo). Et file tout droit vers un poste de député.
Comparini, la MoDem égarée
« Braillard siègera dans le groupe PRG et sera fidèle à la majorité, estime Jacky Darne, premier secrétaire départemental joint par RFI. Mais ça risque de rester un peu tendu entre le national et Collomb, au moins pendant un moment. Beaucoup pensent qu'il en a trop fait. »
Il y a cinq ans, la 1ère circonscription du Rhône avait déjà produit un symbole fort : députée sortante, l'ancienne présidente centriste de la région Anne-Marie Comparini voulait rester fidèle à la ligne fixée par François Bayrou après la présidentielle : pas d'alliance avec l'UMP.
En réaction de cette rupture du centre-droit, Nicolas Sarkozy avait tiré les conséquences en présentant face aux frondeurs des candidats, comme Michel Havard à Lyon. La centriste avait été éliminée dès le 1er tour. Anne-Marie Comparini, autrefois baronne locale, a depuis 2007 arrêté la politique. Patrick Devedjian, secrétaire général de l'UMP, s'en était accomodé, dans une vidéo devenue célèbre.