« Toute personne qui consultera les sites internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement ». A peine le dénouement de l’affaire de Toulouse connu, le chef de l’Etat français évoquait de nouvelles mesures antiterroristes. Un arsenal judiciaire rapidement commenté dans les médias et sur les réseaux sociaux où il ne fait pas l’unanimité, loin de là.
Juridiquement possible
Punir la consultation de sites internet faisant l’apologie du terrorisme est légalement réalisable et envisageable. Le projet de loi pourrait se rapprocher de ce qu’il se fait aujourd’hui en matière de lutte contre la pédo-pornographie. Il serait donc possible, dans le cadre où cette infraction ait été inscrite au code pénal, d’interpeller toute personne ayant consulté un site internet incriminé.
Une telle loi permettrait aussi de bloquer l’accès à un site internet hébergé en France. Pour les sites étrangers, la situation serait un peu plus compliquée car il faudrait que le gouvernement donne l’ordre aux fournisseurs d’accès internet de les bloquer.
Difficilement applicable
Mais en pratique, cette loi paraît aux yeux des spécialistes totalement inapplicable. Déjà, il faudra aux autorités exploiter la masse de données extraite de l’historique des sites incriminés, puis remonter jusqu’aux personnes concernées. Le gouvernement devrait donc s’appuyer sur les fournisseurs d’accès. Il leur sera demandé de mettre en place une surveillance de leurs clients.
« Cela se ferait qu’au prix d’un niveau d’espionnage à grande échelle des Français tel qu’il n’aurait aucune chance de passer le barrage du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne de justice », explique alors le spécialiste Daniel Kaplan, auteur d’Informatique, Libertés, Identités (Editions Fyp) au quotidien Le Parisien.
L’inquiétude des organisations de défense des libertés
Cette surveillance a fait monter au créneau les organisations de défense des libertés et notamment Reporter sans frontières. Pour l’une de ses responsables, Lucie Morillon, « cela veut dire que l’on va mettre en place une surveillance généralisée du web pour savoir qui a accès à quoi ? ». Elle s’interroge aussi sur la classification de ces sites : « Qu’est-ce qu’un site qui appelle à la violence ? »
Une inquiétude qui touche aussi le travail des journalistes. « Cela concerne notre mandat qui est la liberté d’information, ajoute Lucie Morillon. Un journaliste qui enquête sur une mouvance terroriste sera-t-il aussi pénalisé ? ». Sur la toile, les réactions s'inscrivent dans la même tonalité. Certains ont même qualifié ces mesures semblables au « Patriot Act » en vigueur aux Etats-Unis, mis en place après les attentats du 11-Septembre et qui permet notamment au gouvernement américain de détenir sans limite et sans inculpation toute personne soupçonnée de terrorisme.
Barrière politique
Le projet de loi évoqué par Nicolas Sarkozy devrait être rapidement, avant le premier tour de la présidentielle le 22 avril prochain, présenté en Conseil des ministres. Mais il y a peu de chance qu’il soit adopté au Parlement. La législature est pour l’instant suspendue pour cause de campagne électorale et ne devrait pas reprendre avant les élections. En cas de consensus politique, les deux Chambres pourraient bien être convoquées à titre exceptionnel pour voter ce nouvel arsenal judiciaire. Sauf que ce consensus semble peu probable au vu des déclarations de l’opposition suite aux annonces de Nicolas Sarkozy.
Pour le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, « la précipitation est mauvaise conseillère ». Enfin pour le camp du candidat socialiste François Hollande, des lois existent déjà et il faut s’en servir. « S’il faut augmenter les moyens juridiques et humains, il faudra le faire », a déclaré le conseiller spécial du candidat, Jean-Marc Ayrault. Mais avant tout, il faut « tirer les leçons et cela commence par l’analyse de la législation existante ».