Pouria Amirshahi : «L’objectif de François Hollande est de mettre fin à la Françafrique»

Quel regard portent les deux principaux candidats à la présidentielle François Hollande, et Nicolas Sarkozy sur le rôle de la France en Afrique ? Du côté de François Hollande, voici le point de vue de Pouria Amirshahi est le secrétaire national du Parti socialiste à la coopération, à la francophonie, au développement et aux droits de l'homme.  

RFI : Dans son dernier livre Changer de destin, qui fait 166 pages, François Hollande ne consacre qu’une seule page à la politique arabe et africaine de la France. Est-ce que ça l’intéresse vraiment ?

Pouria Amirshahi : Oui, ça l’intéresse. Le livre avait un autre objectif. Dans les soixante propositions qu’il a présentées aux Français, il y en a une, c’est la 58, qui expose clairement l’objectif c’est-à-dire de mettre fin à la Françafrique, mais surtout au-delà du slogan, d’engager de nouveaux rapports de coopération en particulier entre les pays de la Méditerranée. Il y aura dans le cadre de cette campagne présidentielle des moments consacrés à la politique étrangère.

RFI : Selon Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, les rares prises de position de François Hollande en politique étrangère ne sont qu’un mauvais copier-coller de ce que fait la droite. Et de fait, si vous approuvez les interventions militaires françaises en Côte d’Ivoire et en Libye, est-ce que vous n’êtes pas d’accord avec Nicolas Sarkozy sur l’essentiel ?

P. A. : Non. Le bilan de Nicolas Sarkozy est globalement un échec et un échec grave. Sur la Tunisie, nous avons vu quelle était la position du gouvernement français. Il ne s’agit pas tant de reprocher à un pouvoir de n’avoir vu venir les aspirations du peuple tunisien.

RFI : C’est la plus grande erreur, reconnaît Nicolas Sarkozy d’ailleurs.

P. A. : Oui, elle est lourde mais elle se retrouve ailleurs. Je n’ai pas eu le souvenir que sur la Libye, dont le chef de table, monsieur Kadhafi à l’époque avait été reçu ici. Je n’ai pas souvenir que vis-à-vis de monsieur Moubarak, Nicolas Sarkozy ait fait preuve d’une grande fermeté ou d’une grande clairvoyance.

RFI : Tout cela n’est pas du passé ? Ce n’est pas avant 2011 ?

P. A. : C’est avant 2011 parce que les évènements se sont imposés à lui.

RFI : Vous voulez mettre fin à la Françafrique. Et toujours selon Alain Juppé, la France fait déjà pression par exemple sur les présidents qui voudraient modifier la Constitution pour rester au pouvoir. Dans Jeune Afrique, le ministre français raconte un coup de fil qu’il a passé dans ce sens au président burkinabè Blaise Compaoré. Est-ce que vous n’applaudissez pas ce genre d’initiative ?

P. A. : Qu’Alain Juppé passe des coups de fil en faveur de la démocratie et des libertés, c’est très bien. La question, c’est quelle est la stratégie ? Ce n’est pas au cas par cas. Je pense qu’il faut sortir d’une vision parfois très militarisée qui se résume un peu à ce qu’étaient les Affaires étrangères à la papa des années 1970. Il faut en sortir et encore une fois, ça passe par des projets concrets et construits.

RFI : L'ancien Premier ministre socialiste français, Laurent Fabius, chez le chef de l'Etat gabonais, Ali Bongo Ondimba, le 15 février dernier. Est-ce le signe que le Parti socialiste soutient le régime gabonais ?

P. A. : Absolument pas. Il était là-bas dans le cadre d’une conférence et il s’est rendu en Chine aussi et dans d’autres pays. La Chine, on ne peut pas dire que c’est une grande démocratie.

RFI : Simplement, est-ce qu’à ce moment là vous pouvez donner la leçon à Nicolas Sarkozy quand il reçoit le président congolais, Denis Sassou Nguesso à l’Elysée ?

P. A. : Moi, je ne fais pas la leçon.

RFI : C’est un communiqué du Parti socialiste.

P. A. : Oui. Mais ce qui s’impose à tout le monde encore une fois, c’est de redéfinir les rapports de coopération qui doivent être, encore une fois, fondés sur les questions environnementales, sur la question sociale, sur la question du travail des enfants, sur la question des droits des femmes, sur la question des avancées démocratiques, parce que notre rôle en tant que socialiste, c’est d’être aux côtés des peuples en mouvement, c’est d’être aux côtés des avancées démocratiques, et certainement pas aux côtés de dictateurs, rabougris, qui affaissent leur pays et abaissent leur peuple. Aujourd’hui, il faut engager des projets concrets. Par exemple : l’industrie. Est-ce qu’on peut être en situation de construire des industries communes ? Regardez le débat sur l’installation de Renault à Tanger au Maroc, qui d’ailleurs a le droit de faire appel à des entreprises étrangères. D’un autre côté, comme personne n’a averti les salariés français à Renault, on dit attention c’est une délocalisation et du coup, il y a un climat de concurrence qui se crée, de peur réciproque, qui nuit beaucoup à la coopération. Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Prenons l’exemple de ce qui a été fait entre certains pays de l’Est de l’Europe, avec l’Allemagne, et qui ont construit un modèle de multi localisations où il y a une continuité de chaîne de production. Et tout le monde est gagnant dans cette affaire-là. Et si on avait, avec le Maroc, anticipé cette stratégie industrielle –or il n’y en avait pas- alors nous n’aurions pas eu ce conflit apparent qui a été médiatisé à travers des déclarations politiques.

RFI : Pouria Amirshahi, vous rentrez du Maroc avec Martine Aubry qui a été reçue par le roi Mohammed VI. Est-ce que vous soutenez, comme la droite, le plan marocain pour une autonomie du Sahara à l’intérieur du royaume ?

P. A. : Nous avons dit que la proposition marocaine d’autonomie était une solution sérieuse, en tout cas elle était crédible parce que à un moment où le discours du roi avait engagé une réforme constitutionnelle vers la régionalisation, ça s’inscrit dans une cohérence de régionalisation propre au Maroc. Et c’est une proposition, une hypothèse qui peut contribuer à lever un des grands problèmes de la région qui est l’ouverture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Pourquoi c’est essentiel ? Parce que les rapports de coopération entre l’Europe et l’Afrique n’ont de sens à terme que si les pays du Maghreb réussissent ce grand pari de l’intégration régionale.

RFI : Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, la France doit-elle présenter des excuses pour sa politique coloniale ?

P. A. : Bien sûr que ce qui a été fait au moment de la colonisation est indigné de ce qu’est le rêve révolutionnaire français. Nous sommes aujourd’hui dans un cinquantenaire qui doit tout reconnaître et en particulier les crimes commis par la France au nom de la colonisation.

RFI : Est-ce que ça n’a pas déjà été fait par un ambassadeur de France à Alger ?

P. A. : Exactement et c’est ce que j’allais vous dire. Et donc ce travail d’historien est aujourd’hui en train de se faire dans le bon sens parce que les Français voient ce qui s’est fait en leur nom. Maintenant la question des relations entre l’Algérie et la France est une question qui n’avancera pas si elle reste prisonnière des appréciations qu’on porte sur le passé. Il faut reconstruire avec un peuple voisin avec lequel nous avons énormément en commun. Vous avez vu récemment ces débats stupides, mais graves en même temps, sur le halal. Si on veut engager d’autres rapports, il faut aussi chez nous, en France, commencer par s’appliquer des principes de respect, de vivre ensemble. Et puis nous avons aussi la mobilité entre les hommes et les femmes. Je vous rappelle qu’il y a eu quand même cette circulaire Guéant en particulier qui a été le symbole, à mon avis de cette vision fermée, étanche, dans les rapports entre les pays. Une aberration totale si on veut demain pouvoir promouvoir les relations économiques, culturelles, entre nos pays, ça veut dire qu’il faut permettre des visas de circulation pour les chefs d’entreprise, les étudiants, les scientifiques, les artistes, les chercheurs. Et nous pouvons engager, pourquoi pas, à terme, un Erasmus francophone, pourquoi pas une sorte de passeport culturel et économique de la francophonie, tout simplement parce qu’on a longtemps privilégié une diplomatie opaque, cynique, et que c’est à celle-ci qu’il faut mettre fin.

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