Anonymous, combien de divisions ?

Le syndicat Unité police SGP-Force ouvrière, principal syndicat des gardiens de la paix en France, porte plainte ce lundi 30 janvier contre Anonymous suite au piratage de son site Internet. Une base de données contenant les coordonnées d'environ 500 délégués syndicaux a été attaquée et mise en ligne. Le collectif fait depuis quelques semaines beaucoup parler de lui pour dénoncer des lois « liberticides » telles les lois PIPA, SOPA aux Etats-Unis contre le téléchargement illégal de données sur Internet. Quelles sont les revendications d'Anonymous et qui se cache derrière ce collectif informel et mondial ? Eléments de réponses avec Nicolas Danet, auteur avec Frédéric Bardeau d'un livre intitulé Anonymous, Pirates informatiques ou altermondialistes numériques ?

RFI : Anonymous se mobilise pour la liberté d’expression sur Internet. Est-ce que ce mouvement ne brouille pas un peu le message en révélant les activités syndicales de policiers qui ont eux aussi droit à la liberté de pensée et à la protection de leurs données personnelles ?

Nicolas Danet : Effectivement. Cela est dû à la nature ambiguë de la bannière Anonymous. Le mouvement n’est pas structuré et chacun peut s’en revendiquer. Ce qui signifie que certaines actions peuvent être moralement répréhensibles.

RFI : Ne risque-t-il pas d’imploser si le message manque de lisibilité ? Si les dissensions prennent trop d’importance dans le collectif ?

N.D. : Evidemment c’est un risque. Mais ce que l’on peut constater tout de même, c’est que petit à petit, leur message passe. On parle d’eux dans les Guignols de l'info et pas uniquement de manière inquiétante comme cette Une de journal qui titrait « Anonymous terrorise Internet ». On comprend mieux leur action. En tout cas, il y a un changement assez net dans les mentalités : ce ne sont pas eux qui terrorisent. Ils luttent pour la liberté du réseau. Suite à la fermeture par les autorités américaines de MegaUpload, la plateforme de téléchargement, on s’est rendu compte que le mouvement avait grandi. Que le combat des Anonymous était plus populaire. En effet MegaUpload représentait 4% du trafic mondial, ce qui est énorme. Et le grand public s’est rendu compte qu’un Etat avait la possibilité de censurer, du jour au lendemain, un tel site.

RFI : Samedi dernier, on a vu les Anonymous français descendre dans la rue. Dimanche, ils bloquaient le site internet du ministère français de l’Intérieur consacré à l’immigration. Aujourd’hui, ils ont tagué l’immeuble de l’Hadopi, la Haute Autorité de lutte contre le téléchargement illégal en France. Le mouvement prend-il une nouvelle dimension ?

N.D. : A mon avis toutes ces actions montrent surtout la diversité du mouvement. C’est un cri du peuple internet qui lutte pour son indépendance. Une opposition entre deux façons de pensée, deux modèles économiques : le monde de l’Internet et celui des ayants-droits qui défendent les droits d’auteurs.

RFI : N’est-ce pas un peu manichéen ?

N.D. : Les Anonymous ne sont pas les chevaliers du Bien. Effectivement certaines actions sont condamnables. Mais le monde des hackers est ainsi fait et c’est vrai que sur Internet, il s’y passe des choses pas toujours « dans les normes ». Par exemple 4chan, un site de partage d'images sur lequel Anonymous est apparu (par défaut dans ce site on peut publier sans s'inscrire, on est alors appelé "anonymous") peut être considéré comme un grand bac à sable du web, dans lequel on voit une créativité débridée fondée sur la copie, le détournement d'images. On peut le comparer à une sorte de cour de récréation pour adultes, un peu hors normes.

Certes les Anonymous ont une capacité de nuire. Mais cela reste de l’ordre de l’activisme. La menace est symbolique et touche des institutions. Les attaques par déni de service ne font rien d’autre qu’empêcher de consulter un site. Et cela est temporaire. Les Etats, eux, peuvent décider de censurer un site. Et le faire disparaîre de la Toile. D’ailleurs souvent les termes utilisés pour qualifier l’action d'Anonymous sont inadéquates. On parle d’attaques, de cyberguerre, un vocabulaire militaire emprunté à la culture geek mais qui ne décrit pas la réalité de la menace. Le site du FBI mis hors service par les Anonymous après la fermeture de MegaUpload, a juste été indisponible ponctuellement.

RFI : En effet, dans un de leur communiqué, ils souhaitent ne pas être réduits à des pirates informatiques.

N.D. : Le terme est tendancieux. Ils ne sont-là ni pour s’enrichir ni pour voler. Ils ne sont pas une menace pour le citoyen isolé. En tous les cas, il y a très peu d’exemple d’attaques de ce type.

RFI : Comment se passent-ils le mot techniquement pour décider d’une action ?

N.D. : Ils se réunissent sur des espaces de discussion par le biais de canaux IRC. Un peu austères d’ailleurs. Les discussions sont thématiques. Chacun peut lancer une idée d’action. Ils en discutent entre eux dans des documents collaboratifs type Google Docs. Chacun propose ses compétences sur le mode de la la do-ocratie. C'est-à-dire que c’est une organisation par les gens qui « font » ( du verbe anglais to do = faire ). Chacun apporte son savoir faire et propose de s'impliquer à hauteur de ses compétences.

RFI : Le mouvement est-il de même nature que celui des indignés ?

N.D. : lls se sont rencontrés. Et les Anonymous ont apporté un support technique aux indignés et acteurs des révolutions arabes. Leurs revendications peuvent se ressembler. Mais les deux mouvements divergent dans le sens où les Anonymous ne cherchent pas de leader. L’organisation est plus horizontale et de l’ordre d’un mouvement de lutte pour les droits civiques comme les mouvements hippies dans les années 60/70. Les Anonymous véhiculent plutôt une idéologie avant-gardiste comme la contre-culture américaine dans ces années là qui s’appuyait sur le monde de l’informatique pour proposer et rechercher ensemble d’autres manières de vivre.

RFI : L’action des Anonymous va-t-elle s’orienter de plus en plus vers des actions politiques ?

N.D. : Au sens traditionnel, non. Certainement pas. Les Anonymous ne sont ni une ONG, ni une organisation de lobbying. Par contre le mouvement tisse des liens avec des organisations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet comme la quadrature du Net ou EFF (Electronic Frontier Fondation) et reprend certaines de leurs revendications. La bannière Anonymous se rapproche plus du mouvement altermondialiste, si on veut faire un rapprochement, qui a apporté de nouvelles formes de pensée et notamment véhiculer l’idée que le peuple pouvait se rebeller.

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