Dans le prolongement d’un long processus entamé suite à une plainte contre X du quotidien Le Monde déposée le 20 septembre 2010, le procureur de Nanterre Philippe Courroye a été mis en examen mardi 17 janvier dans l’affaire dite des « fadettes ». Ce terme – contraction de factures détaillées – fait référence à l’obtention illégale en juillet 2010 par les autorités publiques des factures du téléphone portable du journaliste du Monde Gérard Davet, lequel enquêtait alors sur l’affaire Bettencourt mettant en cause le ministre du Budget, Eric Woerth. En clair, l’autorité judiciaire aurait obtenu frauduleusement l’identité des contacts du journaliste, en violation avec la loi française de protection des sources et de la liberté de la presse.
Une instruction tenace
Depuis la plainte du Monde, cette affaire des fadettes a connu des retards et des soubresauts mais la juge d’instruction Sylvia Zimmerman n’a pas dévié de son cap depuis qu’elle s’est emparée du dossier. Classée sans suite en janvier 2011 par le parquet de Paris, l’affaire est revenue dans le circuit judiciaire le mois suivant lorsque Le Monde s’est constitué partie civile pour violation du secret des sources après un article sur une perquisition chez Liliane Bettencourt. Et le 13 mai 2011, une information judicaire a été ouverte pour atteinte au secret des correspondances. Dans l’intervalle, David Sénat, le conseiller pénal de la garde des Sceaux d’alors, Michelle Alliot-Marie, soupçonné d’être la source du Monde, avait été déchargé de ses fonctions.
Après avoir acquis la certitude que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avait bien effectué une recherche des factures détaillées de Gérard Davet, la juge a convoqué Philippe Courroye le 28 septembre dernier puis Bernard Squarcini, le patron de la DRCI lui-même, mis en examen dès le 17 octobre. Proche du pouvoir, Philippe Courroye est soupçonné d’avoir ordonné l’analyse des relevés des factures téléphoniques du journaliste, en sa qualité de procureur des Hauts-de-Seine, département de résidence de Liliane Bettencourt, l'héritière de L'Oréal dont la fortune aurait permis de financer une partie de la campage électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Le voilà désormais mis en examen pour « collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite et violation du secret des correspondances ».
A l’annonce de sa mise en examen, Philippe Courroye – l’un des plus célèbres magistrats français – a « contesté vigoureusement » la procédure « sur la forme et sur le fond » et il a immédiatement déposé deux recours auprès de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris. « Cette mise en examen, est, au regard du fonctionnement de la Justice, d’une extrême gravité puisqu’elle touche au pouvoir d’enquête du procureur de la République », a-t-il protesté. Il a également précisé qu’il était, pour lui, hors de question de démissionner. La veille, le procureur mis en examen s’en était déjà pris « aux donneurs de leçon fielleux dépourvus de mémoire et de bilan » lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Nanterre, audience durant laquelle le magistrat avait détaillé avec éloquence son bilan à la tête du troisième parquet du pays.