C’est la première fois qu’une telle décision est prise à l’Agence française des produits de santé (Afssaps). Le Pr Dominique Maraninchi veut ainsi rompre sans ambiguïté avec les soupçons d’entente entre les experts, qui décident au final de la façon dont doivent se soigner les Français, et les laboratoires pharmaceutiques intéressés au premier chef.
Dans le cas présent, les experts ont été consultés pour donner leur avis sur les traitements à recommander dans les infections respiratoires hautes (ORL). Tout en reconnaissant que les indications fournies par le groupe de travail « correspondent sans conteste à un besoin de santé publique de meilleure prise des affections hivernales pour lutter contre l’excès d’utilisation d’antibiotiques », le patron de l’Afssaps refuse néanmoins de les publier. Mais, dans la mesure où plusieurs de ces experts « ont des liens d’intérêts avec des firmes pharmaceutiques concernées, vous comprendrez, leur écrit Dominique Maraninchi, que l’Afssaps ne puisse en aucun cas les porter ». « Il ne s’agit pas d’une question de morale », précise encore le Pr Maraninchi « mais d’engagement dans l’indépendance et la responsabilité que doit garantir l’Agence dans ses décisions ».
De l’intérêt des experts
C’est un véritable camouflet pour ces 40 experts tous reconnus et qui voient exposé sur la place publique leur défaut d’indépendance vis-à-vis des industriels du médicament. Ainsi mis en cause d’une manière aussi inusitée, le groupe a assorti sa démission d’une lettre dans laquelle les signataires se disent choqués. « Une fois encore la direction de l’Afssaps ne soutient pas les experts externes qu’elle a elle-même choisis », écrivent-ils, reprochant à l’Agence de changer les règles du jeu en cours de match. « Votre refus de publier cette recommandation témoigne de votre mépris non seulement pour les experts et leur travail, mais aussi pour la santé publique qui n’est visiblement pas votre priorité », concluent-ils regrettant le « discrédit » ainsi jeté sur les Agences de santé.
Alors qu’une loi sur les conflits d’intérêts des experts est en cours de discussion, le Pr Maraninchi, en refusant les recommandations sur les antibiotiques, marque bien nettement que l’Afssaps est entrée dans l’ère post-Mediator. Cette affaire a traumatisé toute la chaîne de décision de la mise sur le marché du médicament mais apparemment certains semblent encore croire qu’il ne s’agit que d’une mauvaise passe.
Juge et partie
Toujours dans le sillage du scandale du Mediator, la leçon a bien du mal à être assimilée. L’Afssaps a d’ailleurs été récemment sur la sellette pour avoir nommé à un poste de direction un expert qui avait travaillé chez Servier, fabricant du Mediator, au développement de l’Isoméride, une molécule proche du Mediator. La preuve que la révolution profonde qui mettrait en avant une expertise médicale, libérée des intérêts commerciaux et au service de la santé publique, est encore à venir.
Pour le Dr Philippe Foucras de l’association Formindep qui milite pour la création d’un groupe d’expertise indépendant, une vraie séparation entre juge et partie est possible. La preuve, la Haute autorité de santé qui vient de revoir à la baisse l’efficacité des médicaments anti-Alzheimer. A l’inverse de la première évaluation de 2007, la plus récente a été conduite par des experts sans liens d’intérêts avec les fabricants de médicaments.