Droit de vote des étrangers : trente ans après, le débat resurgit

Le Sénat examine ce 8 décembre 2011 une proposition de loi pour réviser la Constitution et permettre aux étrangers résidant en France de voter aux élections municipales. Une promesse qui date de 1981 et à laquelle le Premier ministre François Fillon tient aujourd’hui à s’opposer.

C’est une vielle promesse de la gauche. Un serpent de mer de la vie politique française vieux de plus de trente ans qui ressurgit ce jeudi 8 décembre 2011 au Sénat. Le droit de vote des étrangers aux élections locales figurait déjà dans les 110 propositions de François Mitterrand en 1981. L’une de ces promesses non tenues par l’unique président socialiste. Dans sa Lettre à tous les Français de 1988, le président sortant justifiait son renoncement en déplorant « l’état des mœurs » de la société française. Et déjà, en pleine campagne présidentielle, son adversaire Jacques Chirac stigmatisait « le laxisme socialiste » en matière d’immigration.

Ce n’est pourtant pas du fait de la gauche française, mais de Bruxelles, et de l’Europe, qu’une première brèche est ouverte. A partir de 1998, les ressortissants européens peuvent voter aux élections locales. Deux ans plus tard, sous l’impulsion du député écologiste Noël Mamère, le droit de vote est étendu à tous les étrangers, européens ou pas. La gauche est alors majoritaire à l’Assemblée nationale, mais minoritaire au Sénat. Le texte est bloqué et retoqué par la haute chambre.

Treize ans plus tard, la configuration politique a changé. La droite domine l’Assemblée nationale. Et depuis le mois de septembre, le Sénat est à gauche. Un bouleversement historique. Dès le dimanche soir des élections, les socialistes et leur patronne la première, Martine Aubry, annoncent la résurrection du droit de vote des étrangers aux élections locales. « Les étrangers ont participé à la création de la richesse de notre pays, justifie François Rebsamen, le président du groupe socialiste au Sénat. Ils habitent nos communes, ils y paient des impôts. Il est anormal qu’ils soient relégués comme des citoyens de seconde zone. Et donc nous allons leur redonner leur dignité ».

Le débat devant les sénateurs risque pourtant d’en manquer, de dignité, si l’on en juge par les propos tenus ces derniers jours par plusieurs dirigeants de la droite. A l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a dénoncé un « risque communautaire » et brandi la menace de municipalités noyautées par les étrangers : « Imaginons un débat sur les cantines scolaires ou sur les horaires de fréquentation des piscines. Est-ce qu’on ne risque pas d’avoir des règles qui soient contraires à la laïcité ou à l’égalité hommes-femmes ? ». Pour Claude Guéant, la nationalité est d’abord affaire de religion…

Des prises de position sur fond de campagne

Le ministre de l’Intérieur n’avait pas hésité à mentir, la semaine dernière, en assurant que les étrangers pourraient être élus maire, ce que ne prévoit pas la proposition de loi. La droite, une partie de la droite, joue sur les peurs, et accuse par ailleurs la gauche d’instrumentaliser les étrangers, et de faire monter le Front national pour affaiblir l’UMP. « François Mitterrand était un orfèvre en la matière, et le Parti socialiste reprend ses bonnes vieilles recettes qui consistent à faire gonfler le score du FN, accuse Lionnel Luca, l’un des représentants de ceux qui s’appellent « la droite populaire », la droite de l'UMP. Ils s’assurent aussi pour les prochaines élections locales un matelas électoral confortable. Les plus intégristes vont pousser les étrangers à prendre le pouvoir localement. Le Parti socialiste, totalement irresponsable, joue avec le feu et au lieu d’essayer d’avoir un vote populaire, il choisit un vote communautaire ».

Lionnel Luca a bien appris sa leçon. « Le vote communautaire », la formule a été prononcée quelques heures plus tôt par Nicolas Sarkozy. Voici pourtant ce que le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy disait en 2005 : « Le débat pour le droit de vote, aux seules élections municipales, des étrangers présents en France depuis 10 ans est une question ouverte, et en ce qui me concerne, j’y suis favorable ».

Les temps ont changé. Nicolas Sarkozy peine à remonter la pente dans les sondages et fait feu de tout bois. Il envoie donc son premier ministre François Fillon en personne s’opposer, devant le Sénat, au droit de vote des étrangers aux élections locales. Alors, dans cette affaire, qui instrumentalise quoi ? Le sénateur d’Europe Ecologie-Les Verts Jean-Vincent Placé accuse François Fillon de chasser sur les terres du Front national : « Depuis le discours de Grenoble, aux accents xénophobes, la droite, y compris François Fillon, est lancée dans une course à l’échalote vis-à-vis de certaines idées proférées à l’extrême droite de l’échiquier politique. »

Le débat s’annonce donc musclé. Pas sûr d’ailleurs que le texte puisse passer, puisque la gauche ne dispose au Sénat que d'une très courte majorité, et elle est sûre de ne pas faire le plein des voix dans son propre camp. L'ancien ministre anciennement socialiste, Jean-Pierre Chevènement, et candidat à la présidentielle, s’abstiendra, lui qui représente cette gauche républicaine, patriote, voire nationale, pour qui le droit de vote ne saurait être déconnecté de la nationalité française.

Le débat aura lieu dans l’hémicycle, et au-dehors. Le Front national, absent au Sénat, entend bien profiter de l’impact de cette affaire et organise une manifestation pour soutenir l’interdiction du droit de vote aux étrangers. En face, un autre rassemblement se tient, à l’appel des partis de gauche, pour rappeler qu’une promesse, même vieille de trente ans, on la tient.

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