RFI : C’est un film politique ou c’est un film sur la politique ?
Pierre Schoeller : C’est d’abord un thriller avant tout. C’est d’abord une proposition de cinéma. Je dis cela, parce que le film s’est, en partie, construit et, en partie, débloqué avec un désir très fort de filmer des comédiens, des cascades, des décors, un rythme. La politique est venue depuis très longtemps. C’est un sujet que je retiens depuis sept ou huit ans. Je dirais c’est un film sur la politique, avec de la politique. Il est politique, parce qu’il saisit un état de rapport de force. Mais c’est tout.
RFI : Tout le film va raconter de façon assez réaliste et très « speedée », la vie quotidienne d’un ministre – celui des Transports en l’occurrence – pris entre une réforme politique et un événement tragique d’actu, en l’occurrence un accident de car. Votre film commence par une scène assez sublime et assez irréelle : une femme nue se fait avaler par un crocodile. C’est assez stupéfiant ? Un peu terrifiant ?
P.S. : Il faut dire aussi qu’elle l’a cherché un peu. Elle l’a tenté aussi, le crocodile. Ce n’est pas une femme nue poursuivie par un crocodile.
RFI : C’est Indiana Jones ?
P.S. : Non ! Je vais vous faire une petite confidence : il y a quelques jours, j’étais avec quelqu’un qui était assez haut placé à l’Elysée et qui a vu le film pour des raisons journalistiques, et il m’a dit : « La scène du début, c’est formidable ! C’est formidable parce que c’est très réel. » Vous parlez de quelque chose qui pourrait être déréalisant, ou surréel ou irréel. Non. En fait ce côté halluciné fait partie de ce monde. Il peut arriver à chaque moment des choses absolument stupéfiantes.
RFI : Donc une femme nue, pénétrant la gueule d’un crocodile, sous les ors d’un ministère c’est possible ?
P.S. : Dans les sensations, c’est possible.
RFI : C’est aussi une façon de capturer le spectateur, parce qu’après cela on ne décolle plus de la pellicule.
P.S. : Jusqu’à la dernière image. C’est quelque chose que je voulais d’emblée. J’aime bien que le spectateur soit bien assis et qu’après on le prenne et l’emmène aussi loin que possible.
RFI : Parce que cette scène est une scène de mise en scène. Avant de voir la femme et le crocodile, il y a des hommes habillés de noir et même masqués, qui viennent déposer tout le décorum de ce que fait un ministère : des bureaux, des fauteuils, etc. Donc le décorum du pouvoir, et on est un peu comme au théâtre.
P.S. : La première image, c’est vraiment quelqu’un avec un visage masqué qui nous interroge, qui interroge le public, qui interroge la salle. Ces figures tout en noir, qui ouvrent le film, je les ai empruntées au théâtre classique japonais. Ce sont des assistants de mise en scène qui participent au (théâtre de marionnette, ndlr) bunraku et kabuki (la forme épique du théâtre japonais traditionnel, ndlr) et ils sont sur le plateau. Je les ai découverts à travers un film japonais que j’aime énormément : Double suicide à Amijima de Masahiro Shinoda, un film de 1969. Evidemment, il y a un effet de dissociation, il y a l’effet de mise en scène dans la mise en scène, et aussi quelque part, l’idée que le pouvoir préexiste au pouvoir, c'est-à-dire qu’avant le film il y a le pouvoir, et après le film il y aura le pouvoir.
RFI : Mais l’histoire commence vraiment quand votre personnage, votre ministre Bertrand Saint-Jean, se fait réveiller. On est en pleine nuit, et il est prévenu qu’il y a eu un accident. Un car d’adolescents qui est renversé dans les Ardennes, et il va devoir réagir très vite, ce qui donne immédiatement dans votre film une sorte de rythme assez « speed ».
P.S. : Aujourd’hui, la politique, c’est de l’urgence, de l’instantanéité, de la responsabilité publique immédiate. Donc j’ai juste suivi ce qu’on voit tous les jours.
RFI : Donc le « timing » de la politique.
P.S. : C’est la catastrophe. C’est le tour de la catastrophe.
RFI : Qui est cet homme Bertrand Saint-Jean ? C’est un ministre qui est, finalement, assez sympathique. Il pourrait presque être idéaliste.
P.S. : C’est quelqu’un d’assez pratique, d’extrêmement généreux dans son rapport à la vie, dans son rapport aux autres, très affectueux même, avec ses collaborateurs. Je voulais absolument tourner le dos à un personnage cynique. Si on invite le spectateur à venir dans une salle de cinéma et à assister pendant deux heures au portrait, aux affres, au plaisir d’un cynique… Moi, cela ne m’intéresse pas. Je n’y vais pas. Donc c’est vraiment quelqu’un qui est dans la vie, qui est absolument pétri de son métier politique. Il est dans une évidence de la fonction.
RFI : Il est fait pour ça ?
P.S. : Il est fait pour ça, il ne saurait pas faire autre chose. C’est profondément instinctif. Par contre, l’histoire va le malmener, profondément.