Ce pourrait être un tournant dans l’histoire politique française : le basculement à gauche du Sénat, la Chambre haute du Parlement, qui est aux mains de la droite depuis la fondation de la Ve République en 1958. Invariablement minoritaire dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, la gauche a grignoté du terrain lors des deux derniers scrutins : 14 nouveaux sièges pour le PS en 2004, puis 21 supplémentaires en 2008. Sur la lancée de ses trois succès consécutifs aux municipales de 2008, aux régionales de 2010 et aux cantonales de 2011, l’opposition se dit que la conquête du Sénat n’est pas hors de portée.
Forts enjeux
Une victoire de l’opposition serait à la fois un signe fort à sept mois du premier tour de l’élection présidentielle de 2012 mais aussi une contrariété de plus pour Nicolas Sarkozy dont la cote de popularité reste basse (67% d’opinions défavorables au dernier baromètre Ifop). Si elle devenait majoritaire au Sénat, la gauche pourrait entraver la politique gouvernementale en bloquant par exemple l’adoption de textes clefs comme la nouvelle loi sur le budget de l’Etat (la « règle d’or ») ou le financement de la Sécurité sociale.
Au cas où la victoire se jouerait à quelques sièges, les ministres Gérard Longuet (Défense) et Maurice Leroy (Ville) se trouveraient dans l’obligation de démissionner pour pouvoir participer au vote, comme les y oblige le règlement, une option dont se passerait bien le gouvernement. On relèvera au passage la situation particulière de la ministre des Sports, Chantal Jouanno, qui pourrait être battue à Paris par Pierre Charron, lequel a présenté une liste dissidente, démarche qui lui a valu d’être suspendu par l’UMP.
A moins de 24 heures du scrutin, l’incertitude était de mise dans chaque camp, sachant qu’il faudra à la gauche un minimum de 23 sièges supplémentaires pour s’assurer la majorité. Or, même si elle est à la tête de 20 régions sur 22, de 60% des départements et qu’elle détient la majorité des villes de plus de 3 500 habitants, l’opposition n’est sûre de rien. Tout pronostic s’avère en effet difficile dans la mesure où 95% des grands électeurs sont les délégués des conseils municipaux, un électorat à dominante rurale qui reste volatil et difficile à sonder.
Incertitude
« C’est une élection de relation personnelle, où des logiques apparaissent illogiques », déclarait un élu à l’hebdomadaire Le Point, sous couvert de l’anonymat. Les délégués sénatoriaux ne votent pas que selon leur étiquette politique », reprenait-il. « Leur vote reflète un état d’esprit, une alchimie personnelle ». Une alchimie adroitement entretenue par des élus qui ont consacré une partie de leur temps au relationnel, certains diraient au clientélisme, en parcourant de long en large la campagne française ces derniers mois pour aller à la pêche aux voix et à la foire aux promesses.
Ainsi Jean Germain, maire PS de la ville de Tours, admettait dans un reportage du Parisien avoir parcouru 5 000 kilomètres en voiture depuis le début juillet pour rencontrer la totalité des 1 400 grands électeurs de son département d’Indre-et-Loire, où il brigue son premier mandat de sénateur. « Nos électeurs ne regardent pas DSK sur TF1, résumait-il. En revanche, la lettre du contrôleur général des finances qui leur annonce leur dotation, ils la regardent ! ». En cas de vote serré, il faudra peut-être attendre les résultats des DOM-TOM pour être fixé tard dans la nuit de dimanche à lundi sur la nouvelle composition de la Chambre haute. Quant à l’élection du président du Sénat, position détenue depuis 2008 par l’UMP Gérard Larcher, elle aura lieu samedi 1er octobre.