RFI : Votre film parle de l’Iran d’aujourd’hui, a donc été validé par la censure. Quelle a été la réaction ensuite en Iran, à la suite de tous ces prix au dernier Festival de Berlin ?
Asghar Farhadi : Les réactions ont été très positives, de la part des gens et des professionnels du cinéma. Beaucoup étaient très enthousiastes et très heureux. Et ils m’ont dit : « C’est comme si nous avions obtenu nous-mêmes ce prix ». Les réactions au sein du régime politique étaient plus schizophréniques. Il y avait une double réaction. D’une part, les gens étaient heureux et fiers de ce prix, et d’autres mécontents voyaient derrière ce prix un complot politique. Cette mentalité de croire que tout prix à l’étranger participe à un complot n’est pas nouveau. Mais en même temps, je peux peut-être la comprendre parfois, parce qu’il y a aussi eu des films dans le passé, qui ont obtenu des prix à l’étranger, décernés uniquement pour des raisons politiques.
RFI : Une séparation suit une mécanique implacable. Suite au départ de sa femme, un homme embauche une aide-soignante pour s’occuper de son père, qui est atteint de la maladie d’Alzheimer. Mais cette femme s’absente quelques heures, en attachant le vieil homme. Du coup, il la renvoie un peu brutalement. Elle fait une fausse-couche et elle accuse son ancien patron de meurtre, puisque le fœtus a quatre mois et demi, est viable selon la loi iranienne. Est-ce que vous êtes parti d’un fait divers qui est réellement arrivé ?
A. F. : Une partie est réelle, née de ma propre expérience personnelle. Et l’autre c’est de la fiction. Je l’ai inventée. Par exemple, la partie qui concerne les rapports de Nader, le personnage principal avec son père et sa fille – j’y ai mis mon expérience personnelle. Le reste, même si je l’ai inventé, ce n’est pas invraisemblable. Et je me suis servi d’histoires et de gens que je connais.
RFI : Le film met en scène deux couples ; l’un qui est plutôt libéral, qui fait partie visiblement de l’élite intellectuelle et bourgeoise, et l’autre plus traditionnel, conservateur, religieux, en proie à une souffrance et un ressentiment social. Est-ce que c’est une manière de montrer que la société iranienne est vraiment coupée en deux ?
A. F. : La classe sociale que vous qualifiez de « bourgeoise » n’est pas bourgeoise, en fait. C’est la classe moyenne iranienne, qui rassemble aujourd’hui la majorité des Iraniens. Moi, j’ai voulu montrer la guerre secrète qui existe entre cette classe moyenne et la classe sociale pauvre.
RFI : Même si le cordonnier au chômage apparaît brutal – on voit qu’il pousse sa femme à porter plainte – parce que lui, il est tellement criblé de dettes, qu’il a besoin d’argent, vous ne le jugez pas. Chacun a ses raisons ?
A. F. : Quand vous montrez les conditions qui poussent les gens à agir comme ils le font, quand vous comprenez leur raison profonde, forcément à un moment donné, vous ne vous amusez plus à les juger. Et moi, je n’aime pas juger. Je laisse le soin du jugement aux spectateurs.