Ukraine: Kiev annonce la dissolution du Parlement régional de Crimée

La Crimée restera-t-elle dans l’Ukraine, avec une autonomie renforcée, ou va-t-elle rejoindre carrément et définitivement le giron russe ? La question est brûlante et pour cause : ce jeudi 6 mars, le Parlement régional s’est prononcé en faveur d’un rattachement de la Crimée à la Russie, et a appelé à l’organisation, dans dix jours, d’un référendum sur le statut de ce territoire stratégique du sud de l’Ukraine. Kiev répond à cette démarche en annonçant la dissolution du Parlement régional, et l'invalidation du scrutin. Le nouveau pouvoir entend par ailleurs signer l'accord d'association avec l'UE, signature dont la suspension avait servi de point de départ à la mobilisation de Maïdan. Retour sur une journée chargée en annonces.

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Le Parlement de Crimée a mis les autorités ukrainiennes ainsi que la communauté internationale devant le fait accompli : les électeurs pourraient avoir à choisir s’ils veulent que la région acquière une autonomie renforcée au sein de l’Ukraine, ou qu'elle rejoigne la Fédération de Russie. Le référendum doit avoir lieu le 16 mars prochain. Il s’agit en fait de valider le vote de ces mêmes députés, qui se sont déjà prononcés en faveur de la deuxième solution.

La réaction des autorités provisoires ukrainiennes ne s'est pas faite attendre. Le président Oleksandre Tourtchinov a effectué une brève allocution télévisée, et n'y est pas allé par quatre chemins : « Ce n'est pas un référendum, c'est une farce et un crime contre l'Etat qui est organisé par l'armée de la Fédération de Russie », a-t-il assuré, avant d'annoncer que le Parlement ukrainien engagerait les procédures nécessaires pour dissoudre l'Assemblée régionale de Crimée et invalider la consultation prévue.

La Russie se prépare déjà à accueillir la Crimée dans sa fédération

Le calendrier russe va très vite. Ce jeudi, Vladimir Poutine a étudié, avec son conseil de sécurité, la demande de la Crimée. Et ce à peine une heure après sa formulation. Au même moment, le Conseil des ministres de Crimée déclarait que cette annexion prenait effet immédiatement. Les Russes, eux, disent que cela va prendre quelques jours. Le temps pour le Parlement de Moscou d’examiner un projet de loi pour faciliter le rattachement à la Russie de territoires étrangers.

L'examen de ce projet de loi doit avoir lieu mardi. Il suffirait, pour annexer un territoire étranger, d’un vote du Parlement de ce territoire ou d’un référendum. C’est ce qui se passe en Crimée actuellement. Auparavant, il fallait qu’un traité soit signé avec l’Etat dont ce territoire est issu. Et pour compléter le dispositif, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev annonce une réforme du code de la nationalité. Les procédures de naturalisation seront simplifiées pour les russophones de l’ancienne Union soviétique. Ils pourront obtenir un passeport russe en trois mois. Ainsi, Moscou est désormais en passe de s’arroger le droit d’annexer des régions entières dans ses pays voisins.

De nouvelles sanctions annoncées par les Etats-Unis

Barack Obama a pris la parole ce jeudi. Dans une allocution prononcée à la Maison Blanche, le président américain a déclaré que l'organisation d'un référendum en Crimée, telle qu'imaginée par le Parlement de la République autonome, « violerait la Constitution ukrainienne et violerait le droit international ». Il demande au Congrès de « soutenir la capacité de prêt du FMI ». Pour son secrétaire d'Etat John Kerry, il n'y a même pas débat : la Crimée fait partie de l'Ukraine, assure-t-il.

Comme le rapporte notre correspondante à Washington, Anne-Marie Capomaccio, la Maison Blanche a par ailleurs décidé d'accroître la pression, en annonçant des restrictions de visas et la signature d'un décret présidentiel autorisant le gel d’avoirs de toute personne impliquée dans la crise ukrainienne. Ces décisions annoncées ce jeudi matin ne sont pas liées à l’annonce du référendum en Crimée ; elles étaient en préparation depuis le début de la semaine, explique la présidence. Les noms des personnalités russes qui seront concernées par les restrictions de visas n’ont pas été dévoilés. Concernant le gel des avoirs, une liste sera rendue publique plus tard.

Il s’agit d’atteindre l’économie russe. Le message est simple : la Russie doit comprendre qu'elle n’a rien à gagner à la déstabilisation d’un Etat voisin, en violation du droit international. D’autres sanctions sont en préparation. Mais aucune décision concernant l’Ukraine ne sera acceptée sans l’accord de Kiev. Et l’équipe Obama explique que tout reste réversible. Les Etats-Unis laissent la porte ouverte, au cas où la Russie reverrait sa position et accepterait la venue d’observateurs internationaux en Crimée. Or, de ce point de vue, c'est mal parti (voir ci-dessous).

Une mission de l'OSCE bloquée à l'entrée de la Crimée

Ce jeudi après-midi, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a confirmé l'information selon laquelle une mission de 40 militaires non armés, envoyés dans le sud-est ukrainien à la demande des nouvelles autorités de Kiev, a été interdite d'accès alors qu'elle tentait de se rendre en Crimée. Selon le ministre polonais de la Défense, qui avait dépêché deux hommes pour cette délégation, des individus portant des uniformes non identifiés ont bloqué leur bus.

Les envoyés de l'OSCE, issus de 21 pays membres, ont dû faire demi-tour pour s'établir dans la ville de Kherson, en attendant de savoir comment continuer leur mission. Les Etats-Unis souhaitaient tout particulièrement que cette mission ait lieu. Mais la Russie, membre de l'OSCE également, avait fait part de ses doutes, rappelant qu'une délégation similaire, envoyée en Ossétie du Sud pendant la crise géorgienne, n'avait « pas apaisé mais aggravé la situation ».

L'Union européenne prend des sanctions politiques contre la Russie

Les dirigeants européens étaient réunis, ce jeudi à Bruxelles, en Conseil européen. Ils ont décidé de suspendre les négociations sur les visas avec la Russie et menacé de prendre davantage de sanctions, notamment économiques, si la situation continuait à se détériorer en Ukraine. Le président du Conseil, Herman Van Rompuy, a annoncé que les dirigeants s'étaient accordés sur une stratégie progressive de sanctions, en trois étapes, pour contraindre la Russie à « négocier » une sortie de crise en Ukraine.

Pis encore : l'Union européenne signera le volet politique de l'accord d'association avec Kiev, et ce avant les élections du 25 mai en Ukraine, a ajouté M. Van Rompuy. Selon son homologue à la Commission, José Manuel Barroso, il est question dans ce volet de principes généraux de coopération en matière de sécurité, de politique et de politique étrangère. L'Union européenne maintient par ailleurs l'idée avancée la veille, à savoir une assistance massive d'au moins 11 milliards d'euros à l'Ukraine.

Comme le rapporte notre envoyée spéciale à Bruxelles, Béatrice Léveillé, les dirigeants européens ont été pris de court par l'escalade d’événements survenus ce jeudi, et ont dû réagir. Outre l'accélération du calendrier de rapprochement avec l'Ukraine, l'Union évoque la suspension des travaux préparatoires du G8 (si la « violation » de l’intégrité territoriale de l’Ukraine se poursuit), des sanctions commerciales ou encore l’annulation du prochain sommet UE-Russie.

De là à anticiper sur l'accord de libre-échange en baissant rapidement les tarifs douaniers pour l'entrée des produits ukrainiens en Europe ? L'idée, défendue par M. Barroso ce jeudi ne fait pas encore consensus et mérite plus amples discussions, explique Angela Merkel. Les Européens gardent surtout espoir de voir la Russie revenir à de meilleurs sentiments, et comptent sur le groupe de contact pour trouver une solution à la crise.

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