La Crimée en état de siège

Des hommes armés encerclent ce samedi 1er mars le siège des gardes-côtes ukrainiens à Sébastopol, en Crimée. A Simferopol, ils sont une cinquantaine déployés près du Parlement régional. Kiev et Moscou s'accusent réciproquement de provocation.

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Environ 300 hommes se disant mandatés par le ministre russe de la Défense assiègent actuellement le quartier général des gardes-côtes ukrainiens dans la ville de Sébastopol, au bord de la mer Noire, en Crimée. « Une tentative est en cours pour occuper le siège des gardes-côtes à Sébastopol », a indiqué le service des gardes-frontières ukrainiens dans un communiqué.

Aux abords du Parlement régional de Simferopol, c’est maintenant une cinquantaine d’hommes armés qui sont déployés, a pu constater notre envoyé spécial, Sébastien Gobert. Plusieurs camions sont stationnés, ainsi qu’au moins deux mitrailleuses, à l’entrée du bâtiment.

Le convoi militaire qui est entré en ville ce vendredi soir arborait des couleurs russes. Mais aujourd’hui les soldats portent des uniformes sans insigne. Ils sont accompagnés par plusieurs dizaines de membres d’une espèce de milice citoyenne qui, eux, les décrivent ouvertement comme des soldats russes. L’atmosphère est relativement calme aux abords du Parlement, mais des combats ont éclaté au ministère de l’Intérieur faisant au moins quelques blessés.

Avec ces troupes déployées, environ une soixantaine, on est très loin des 2 000 hommes qui, selon les autorités ukrainiennes, auraient été acheminés vers la Crimée hier soir. En tout cas, la région est en état de siège. L’espace aérien est fermé et le nouveau Premier ministre, une personnalité pro-russe qui est arrivée au pouvoir dans des allures de putsch il y a quelques jours, a appelé la Russie à l’aide contre des provocateurs supposément venus de Kiev. Tout cela ressemble à un coup d’État rondement mené.

  • Kiev accuse Moscou de provocation

Le nouveau pouvoir ukrainien, qui s’installe à peine et qui très fragile, n’a visiblement pas l’intention de se laisser entrainer dans un conflit armé aux conséquences imprévisibles. En ouvrant le premier Conseil des ministres du gouvernement provisoire, retransmis en direct à la télévision, ce samedi, le Premier ministre Arseni Iatseniuk a dénoncé une provocation de la part de Moscou qui consiste, selon lui, à déployer des militaires russes sur le territoire de la république autonome de Crimée.

Pour les autorités de Kiev, le doute n’est pas permis : ces hommes très bien équipés, qui patrouillent dans les rues de Simferopol, bloquent le Parlement, les aéroports, qui ne portent aucun signe distinctif sur leurs uniformes, sont bien des soldats russes. Le ministre ukrainien de la Défense affirme que la Russie a envoyé 30 blindés supplémentaires et augmenté de 6 000 hommes son contingent en Crimée. Le chef de la diplomatie estime pour sa part que l'accord avec Moscou sur le statut de la flotte de la mer Noire est « violé », la Russie ayant pour obligation de prévenir les autorités ukrainiennes à l'avance des mouvements de ses troupes et véhicules dans la péninsule.

Dans un souci de calmer le jeu, Arseni Iatseniuk a chargé ses ministres de prendre contact avec leurs homologues russes. Mais rien ne dit que ceux-ci répondront aux appels, Moscou ayant mis en doute la légitimité du nouveau pouvoir de Kiev.

  • Moscou parle de déstabilisation

Viktor Ianoukovitch s’impatientait du silence de Vladimir Poutine hier. L’ex-président ukrainien doit aujourd’hui être satisfait ; la volonté russe d’intervenir en Ukraine est bien réelle et la Russie montre une fois de plus qu’elle n’est pas disposée à souffrir d’intimidation dans cette région. Ainsi la Russie ne va pas ignorer la demande d’aide du nouveau Premier ministre de Crimée, Sergueï Aksenov. Ce dernier a appelé à l’aide Moscou pour rétablir la paix et la tranquillité dans ce territoire. Et cet appel a bien été entendu.

Si Vladimir Poutine a laissé jusqu’ici le soin à son entourage politique de s’exprimer sur la crise ukrainienne, il montre aujourd’hui de manière ferme qu’il n’a pas l’intention de lâcher prise sur ce dossier. Il est hors de question pour le président russe de voir Kiev se tourner vers l’Europe. Même si le président russe a choisi une approche qui ne soit pas trop frontale, il a aussi préféré prendre la posture de celui qui vient au secours. Il est clair que le conflit ukrainien est une occasion supplémentaire pour Poutine de se poser en acteur incontournable sur la scène politique internationale.

Ce samedi, la Douma d’État, la chambre basse du Parlement russe, a demandé au président Poutine des mesures pour stabiliser la situation en Crimée et « d’user de tous les moyens possibles pour protéger le peuple de Crimée de la tyrannie et de la violence ». Quelques minutes plus tard, la présidente du Sénat russe, Valentina Matvienko, a annoncé que la Russie pourrait envoyer des soldats en Crimée pour garantir la sécurité de la flotte russe de la mer Noire.

Face à une situation de plus en plus tendue, la diplomatie européenne repasse à l’action. Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague est attendu ce dimanche 2 mars à Kiev, selon l’agence de presse Interfax Ukraine qui cite l’ambassadeur britannique à l’ONU. Lundi, c’est la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton qui est attendue dans la capitale ukrainienne. Elle a prévu d’y rester jusqu’à mardi.

  • Timide mise en garde des Etats-Unis

Ce vendredi soir, le président américain a prévenu Moscou qu’une intervention militaire russe en Ukraine aurait un coût. Barack Obama a été volontairement vague, car ses options restent limitées. Une réponse militaire est impensable et est même exclue parmi les élus les plus faucons du Congrès, rapporte notre correspondant à Washington Jean-Louis Pourtet. Si des mesures doivent être prises pour punir les Russes s’ils envahissent l’Ukraine, elles sont d’ordre diplomatique et économique.

En fin de journée hier, un haut responsable de la Maison Blanche a affirmé que le président américain pourrait ne pas assister au sommet du G8 de Sotchi en juin, et s’il n’y participe pas, il est assez peu probable que les autres membres du groupe s’y rendent, ce qui serait humiliant pour Vladimir Poutine. Une autre suggestion serait d’écarter carrément la Russie du club des nations les plus industrialisées pour revenir au G7.

Sur le plan économique, les négociations en cours sur un accord destiné à renforcer les relations commerciales entre les Etats-Unis et la Russie pourraient être interrompues. Or, il s’agit d’un accord auquel Moscou tient énormément. Mais si la Russie a effectivement l’intention d’envahir l’Ukraine, ces sanctions restent relativement légères. Pour le moment, la position de Washington est donc celle du Wait and see. Attendre et voir.

Au Congrès en tout cas, démocrates et républicains soutiennent massivement le gouvernement intérimaire d’Olexandre Tourtchinov. La sous-commission des Affaires européennes de la Chambre est en train de préparer un plan d’assistance économique pour l’Ukraine. Mais les républicains en profitent pour donner un petit coup de griffe à Obama qu’ils accusent de ne pas savoir se faire respecter par Poutine. Le sénateur John McCain lui reproche d’avoir fait preuve de naïveté à l’égard de son homologue russe. Selon lui, la reculade d’Obama en Syrie a encouragé Poutine à ne pas craindre les mises en garde du président américain qui a trop laissé franchir les lignes rouges qu’il avait fixées à Bachar el-Assad.

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