L’Ukraine est un pays toujours en guerre, et un peuple tiraillé entre un voisin russe et l’Union européenne, et un des enjeux de cette élection, c’est aussi l’économie. Car après des années de crise, l’Ukraine commence doucement à aller mieux, comme l’explique Boris Najman, économiste à l’Université Paris Est Créteil.
« Depuis deux ans, on a une croissance qui est positive, elle avoisine les 3%, ce qui est bien mieux qu’après la crise de 2008, dont les conséquences ont été un peu plus tardives dans la région et après la révolution de Maïdan, ce qui est encore faible pour un pays qui doit avoir un fort rattrapage. Le niveau de vie est encore très faible en Ukraine : la plupart des salaires sont autour de 200 euros par mois. On s’attendrait plus à une croissance autour de 5% mais néanmoins c’est assez positif. »
L’économie se relève donc lentement, mais elle a aussi dû changer avec la guerre dans le Donbass, une région très industrielle aujourd’hui paralysée. L’est du pays s’est donc développé ces dernières années, avec la création de petites entreprises dans l’informatique notamment, et dans le centre-nord du pays, la capitale Kiev a vu cette année arriver les grandes enseignes H&M et Ikea.
Les investisseurs ont plus peur de la corruption que de la guerre
Ce regain économique est prometteur mais encore assez timide car les investisseurs étrangers restent assez frileux. En cause, plus que la guerre, la corruption et une économie encore entre les mains de seulement quelques-uns, rappelle Boris Najman :
« On a ce cadre d’oligarchie qui est très fort encore : les contrats en Ukraine sont souvent accordés à des amis ou pour des questions de loyauté et non pour des questions de compétence, ou de qualité des projets. Le procureur général est directement nommé politiquement et il dépend du président. Donc, d’une certaine manière, toute la structure judicaire est biaisée par le fait qu’il n’y a pas d’indépendance de la justice. »
Les deux candidats du deuxième tour ne sont pas exempts de toute critique lorsqu’il s’agit de corruption. Le comédien Zelensky est soupçonné d’être la marionnette de l’oligarque à la tête de la chaine de télé qui produit sa série ; quant à Porochenko, il a beaucoup déçu les manifestants de 2014 qui jugent sa politique anti-corruption pas à la hauteur. Son manque d’action a d’ailleurs failli coûter gros au pays, sauvé in extremis par un plan du FMI.
C’est ce qu’explique Sylvain Bellefontaine, économiste chez BNP Paribas : « Le plan signé avec le FMI en décembre dernier est fondamental pour le pays. En fait, il remplace un plan plus important, qui avait été suspendu en 2017, du fait que le gouvernement ukrainien ne remplissait pas les conditions demandées par le FMI, notamment en termes de lutte contre la corruption. »
« Ce plan, ajoute-t-il, est arrivé à un moment où on s’inquiétait vraiment, pour 2019, du fait que le gouvernement ukrainien fasse défaut sur ses engagements. Donc il est venu vraiment rassurer les investisseurs étrangers sur la capacité du gouvernement à honorer ses engagements cette année, mais il faut savoir que ce plan est assez court, 14 mois, ça veut dire qu’en 2020, le prochain gouvernement devra renégocier un nouveau plan d’aide avec le FMI. »
L’UE, premier partenaire commercial
Le comédien Zelenski a annoncé durant cet entre-deux tours que s’il était élu, il ne rediscuterait pas le plan en cours négocié par son adversaire. Sur l’orientation économique du pays, les deux candidats semblent d’ailleurs plutôt d’accord : tous les deux sont tournés vers l’Union européenne, premier partenaire commercial de l’Ukraine aujourd’hui.
Que ce soit le comédien autoproclamé anti-système ou le président sortant qui remporte l’élection, l’enjeu économique sera donc plutôt de voir si le vainqueur saura ôter les ressources et richesses du pays des mains d’une petite oligarchie à la corruption décomplexée.