Dans une Autriche divisée comme jamais, l'extrême droite veut un président

L'Autriche, sorte de régime semi-présidentiel, vote ce dimanche 4 décembre pour son prochain président fédéral. Et cette fois-ci, il est tout à fait possible que le premier personnage de l'Etat soit issu de l'extrême droite. La campagne a été longue et très clivante. Dans ce pays prospère de l'UE, la montée des inquiétudes économiques et la crise migratoire font partie des explications avancées face à la spectaculaire progression des nationalistes du FPÖ.

La campagne présidentielle autrichienne 2016 aura été anormalement longue. Le scrutin a même déjà eu lieu. Le 22 mai, Alexander Van der Bellen, ancien chef du parti écologiste âgé de 72 ans, avait été élu de justesse (50,3 %), face au jeune et souriant candidat du Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ), Norbert Hofer - 45 ans.

Mais le deuxième tour du scrutin avait été invalidé, pour des irrégularités procédurales dénoncées par le FPÖ, et les deux candidats ont donc dû reprendre la route de la campagne. Les voilà de nouveau face à face ce dimanche, dans un vote plus indécis que jamais, après le « Brexit », après Donald Trump...

Fin avril, le premier tour de scrutin avait déjà créé l'évènement en Europe, balayant les deux partis traditionnels ensemble, une première depuis plus d'un demi-siècle. Les électeurs autrichiens avaient relégué au second plan le Parti social-démocrate (SPÖ) et le Parti populaire (ÖVP), respectivement quatrième et cinquième.

Surtout, la progression de l'extrême droite avait marqué les esprits. Lors de la dernière présidentielle en 2010, le président sortant, un social-démocrate, s'était imposé au premier tour avec 79,3 % des voix. Le FPÖ, deuxième, avait obtenu 15,24 % des suffrages. Six ans plus tard, il caracole en tête avec 35,05 % et fait finalement jeu égal au deuxième tour face à M. Van der Bellen.

Le pays ressortira profondément divisé de cette présidentielle 2016

Ce dimanche, personne ne s’aventure donc à lancer un pronostic, et encore moins à désigner un vainqueur. Tous les sondages donnent à nouveau les deux candidats pratiquement à égalité. Les électeurs indécis pourraient faire pencher la balance d'un côté comme de l'autre au dernier moment. Ce devrait être serré.

Ce jour de scrutin pourrait se révéler historique, mais vu les écarts, on peut s’attendre à ce que les résultats définitifs soient annoncés tard, voire même lundi soir ou mardi. D'autant que les voix seront comptées très scrupuleusement, et donc lentement, pour éviter toute erreur susceptible d’amener une nouvelle invalidation du scrutin.

Notre envoyé spécial à Vienne, Piotr Moszynski, relate que la capitale autrichienne est plongée dans une atmosphère d’attente, d’incertitude et d’inquiétude. Quand on interroge les Autrichiens sur leurs attentes, dit-il, presque tous évoquent aussitôt leur crainte de voir le pays coupé durablement en deux.

Le sujet domine toutes les conversations politiques du moment. Les Autrichiens racontent que des voisins ou des amis ne se parlent plus, parce qu’ils ne votent pas pour le même camp. Ils le vivent très mal, car toute la tradition politique en Autriche est fondée sur l’art du compromis. Le système de ce pays est même construit de façon à rendre pratiquement impossible pour un parti d'exercer le pouvoir seul.

L'Autriche, un pays qui va bien et qui ne veut pas que cela change

D'ordinaire, l'Autriche favorise les coalitions. Et les partis concernés sont obligés de négocier. Visiblement, beaucoup d’Autrichiens commencent à se rendre compte qu’avec les profondes divisions apparues lors de cette campagne électorale, l’époque de tolérance et de compromis touche à sa fin. Cela les rend inquiets, indépendamment de leurs orientations politiques.

Il faut rappeler que dans ce pays européen, le président fédéral a une fonction surtout représentative. C’est une autorité morale, explique notre correspondant à Vienne, Christian Filitz. Mais il dispose de certains pouvoirs : il nomme le chancelier, peut renvoyer le gouvernement et même dissoudre la Chambre des députés sous certaines conditions.

Une petite phrase de Norbert Hofer, « vous serez surpris de ce qui est possible », n’est pas passée inaperçue pendant la campagne. Depuis, il s’est efforcé de minimiser cette déclaration, tout comme celle où il se prononçait en faveur d’un « Brexit » autrichien. Il propose désormais un référendum sur une sortie de l’UE en cas d’adhésion de la Turquie ou d’un renforcement du centralisme présumé de Bruxelles.

L’argumentation du candidat FPÖ rappelle celles qui ont mené au Brexit et à l’élection de Donald Trump. M. Hofer et ses amis veulent en découdre avec ce qu’ils appellent les élites, en particulier la grande coalition au pouvoir à Vienne, entre sociaux-démocrates et conservateurs, jugée coupable d’avoir ouvert les frontières aux migrants. M. Hofer veut un rapprochement avec les voisins d'Europe centrale et Moscou.

La grande peur du déclassement et de la dissolution culturelle

L’Autriche est un pays favorisé en Europe. Le chômage touche 6 % de la population active, contre 10 % en moyenne dans la zone euro, et le revenu par habitant est d’un quart supérieur à la moyenne européenne. Mais cette relative prospérité est devenue plus fragile, ce qui pourrait expliquer que 86 % des ouvriers ont voté en mai dernier pour le candidat de l'extrême droite.

Au cours des cinq dernières années, le chômage a progressé dans ce pays habitué au plein emploi, passant de 4 à 6 % de la population active. Surtout, il a fortement augmenté pour les plus de 50 ans. La croissance, à 1,3 %, reste élevée par rapport à la moyenne européenne, mais elle s'est ralentie et donc les revenus stagnent, voire reculent.

C'est un fait également : depuis l'automne 2015, l’Autriche a vu passer par chez elle de nombreux réfugiés. Le niveau de la pauvreté est l'un des moins élevés d’Europe, mais les inquiétudes de la population sur son mode de vie et la peur du déclassement ont été omniprésentes durant la campagne.

Norbert Hofer en joue, tandis qu'Alexander Van der Bellen représente une certaine forme de continuité, bien que n'étant pas social-démocrate. Il a le soutien du SPÖ, de nombreuses personnalités du monde politique, économique et culturel, voire même, et c’est inédit, de plusieurs journaux influents. Signe que l’enjeu de l'élection du jour est de taille en Autriche et au-delà.


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