Turquie: délicate réunion à Taksim entre partisans et opposants d'Erdogan

Huit jours après le coup d'Etat manqué, alors que la grande purge continue en Turquie, un rassemblement de soutien à la démocratie est organisé ce dimanche 24 juillet 2016 sur la place Taksim, à Istanbul. L'appel a été lancé par la principale formation d'opposition dans le pays, le Parti républicain du peuple (CHP). Le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan s'est associé à cette initiative. Une situation délicate.

Grande journée de manifestation en Turquie ce dimanche, après le coup d’Etat manqué du 15 juillet, et alors que le pouvoir continue d'opérer une vaste purge parmi ses opposants supposés dans le pays. Le principal parti d’opposition, le CHP, appelle ses partisans à descendre dans les rues d'Istanbul en soutien à la démocratie, contre le coup d'Etat, sans pour autant défendre tous les versants de la politique menée actuellement.

C'est la première fois depuis la révolte de Gezi, au printemps 2013, qu'une manifestation va rassembler - entre autres - des « adversaires » du président Erdogan à Taksim. Or, depuis une semaine, le pays est sous une telle tension que le moindre détail pourrait mener à des débordements. Comme un slogan ou un drapeau par exemple. Les dirigeants du CHP ont demandé de ne pas afficher autre chose que des drapeaux turcs ou le portrait de Mustafa Kemal (Atatürk). La manifestation sera probablement tendue, et met l'opposition dans une position inconfortable.

La délicate position du Parti républicain du peuple

Certains dirigeants du CHP ont du mal à justifier cette manifestation, qui se tient en « partenariat » avec l'AKP, en quelque sorte. Et même si depuis le putsch raté, il est très difficile de faire entendre une voix discordante, au risque de passer pour un pro-putschiste, certaines voix se sont élevées pour dénoncer une sorte de fête de l'unité nationale qui ne va profiter qu'à Recep Tayyip Erdogan. Cette manifestation est donc risquée pour l'opposition kémaliste, et isole encore un peu plus la gauche pro-kurde, explique notre correspondant à Istanbul, Alexandre Billette.

Au fond, le CHP, parti kémaliste de centre-gauche, a du mal à se positionner politiquement depuis une semaine face à l'AKP du président Erdogan. Il a dénoncé le putsch manqué, mais a refusé de voter l’état d’urgence, déclenché pour la première fois depuis 15 ans, et qui porte à 30 jours la durée des gardes à vue. Il demande au chef de l'Etat de collaborer davantage avec les partis d’opposition. C'est ce qu'explique sur notre antenne Levent Gök, député et président du groupe parlementaire du CHP :

« Si le coup d’Etat n’avait pas échoué, dit-il, les putschistes auraient tout de suite déclaré l’état d’urgence et la loi martiale. C’est pourquoi je trouve un peu étrange que le gouvernement propose le même état d’urgence, et une sorte de loi martiale, alors que tous les partis d’opposition ont fait part de leur solidarité contre le coup d’Etat. »

La purge continue et se rapproche du prédicateur

« Si Erdogan profite de l’état d’urgence pour faire reculer les droits de l’homme et la démocratie, il va se mettre à dos tous les partis et toutes les ONG qui l’ont soutenu au moment du coup d’Etat. (...) Je pense que l’AKP ne peut pas se sortir seul de la situation actuelle. Pour diriger la Turquie, il doit collaborer avec tous les autres partis », martèle Levent Gök.

Et de rappeler : « Vous savez, Erdogan et l’AKP sont au pouvoir depuis quatorze ans ! Ils ont passé tout ce temps à diriger ce pays, et ils n’ont absolument pas anticipé la tentative de coup d’Etat. Même leurs collaborateurs les plus proches ont participé au putsch. Ils ne donnent vraiment pas l’impression de pouvoir gouverner avec efficacité. »

Alors que l'Union européenne a émis de vives réserves face à la purge en cours en Turquie, Recep Tayyip Erdogan a sèchement répondu sur l'antenne de France 24 samedi. Ce que disent les responsables européens « ne m'intéresse pas et je ne les écoute pas », a-t-il déclaré, toujours prolixe au moment d'accuser son vieil adversaire Fethullah Gülen, prédicateur musulman actuellement en exil aux Etats-Unis, d'être l'instigateur caché du coup d'Etat.

Erdogan l'assure, il a des preuves de l'implication de Gülen

Les autorités turques viennent de dissoudre une multitude d'institutions, dont la garde présidentielle, qui n'a plus de « raison d'être », selon le Premier ministre Binali Yildirim. Quelque 283 de ses 2 500 membres ont été arrêtés. Quelque 1 043 établissements d'enseignement, 15 universités, 1 229 associations et fondations et 19 syndicats ont également été fermés. Les fonctionnaires soupçonnés d'être liés à Fethullah Gülen sont radiés à vie. Un responsable a annoncé l'arrestation de Hails Hanci, qualifié de « bras droit » de Fethullah Gülen. Le neveu du prédicateur a également été interpellé.

Le coup d'Etat manqué s'était soldé par 270 morts : 24 mutins, 179 civils, 62 policiers et cinq soldats loyalistes. Si quelque 1 200 militaires du rang ont été libérés depuis lors, le Premier ministre a indiqué que 13 002 gardes à vue avaient été prononcées après le putsch, avec 5 837 personnes placées en détention, dont 3 718 soldats et 123 généraux.

Samedi soir, avant le grand rassemblement d'Istanbul, des partisans du président Erdogan étaient déjà dans la rue pour exprimer leur colère envers Fethullah Gülen. Le gouvernement turc exige son extradition, mais les Etats-Unis demandent à Ankara des preuves de son éventuelle implication dans le coup d'Etat. Le président Erdogan, qui assure que des aveux à charge contre le leader religieux ont déjà été obtenus auprès de mutins, a promis sur France 24 de livrer les preuves recueillies à Washington d'ici une quinzaine de jours.

Partager :