Turquie: la purge se poursuit, Erdogan de retour à Ankara

En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan doit diriger un Conseil de sécurité nationale ce mercredi 20 juillet à Ankara. Une première depuis le putsch raté de vendredi dernier. Cette réunion est présentée comme exceptionnelle, alors que les purges dans la fonction publique, d'une ampleur inouïe, ont frappé jusqu'à maintenant des dizaines de milliers de personnes à travers le pays.

Avec notre correspondant à Istanbul,  Alexandre Billette

Cinq jours après le putsch raté de vendredi, Recep Tayyip Erdogan est finalement de retour à Ankara. Le président turc était resté à Istanbul. Une absence qui a soulevé de nombreuses questions, notamment sur les réseaux sociaux, qui se sont interrogés sur l'absence du président dans la capitale.

Un retour qui aura lieu alors que l'exécutif turc doit faire une mystérieuse annonce importante mercredi après ces purges massives qui frappent désormais tous les secteurs de la fonction publique du pays. Les trois millions de fonctionnaires turcs sont interdits de sortie du territoire jusqu'à nouvel ordre.

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Le monde de l'éducation puni

Ce mercredi matin, le Conseil supérieur de l’enseignement a pris de nouvelles décisions : d’abord, le limogeage de plus de 90 enseignants au sein de l’université d’Istanbul ; ensuite, l’interdiction faite à tous les universitaires turcs de quitter le pays, ceux qui se trouvent actuellement à l’étranger étant priés de revenir en Turquie dans les plus brefs délais.

C'est donc un nouveau tour de vis qui s'opère après la mise à pied mardi 19 juillet de plus de 15 000 fonctionnaires du ministère de l’Education et la demande faite à tous les recteurs et tous les doyens des universités privées et publiques du pays de présenter leur démission.

Toutes ces annonces suscitent bien sûr l’inquiétude et même parfois la stupeur dans le monde de l’enseignement. Nous avons rencontré ce matin plusieurs universitaires à Istanbul qui avouaient ne pas comprendre l’ampleur de cette purge. « Il est difficile d’imaginer qu’autant de personnes puissent avoir un lien quelconque avec la tentative de coup d’Etat », me disait, sous couvert d’anonymat, un professeur de l’enseignement supérieur technique.

Ces universitaires estiment que le gouvernement et le président Ergodan profitent en réalité du coup d’Etat pour restructurer les universités les plus critiques à leur égard. Et ils s’inquiètent des conséquences de cette purge et de cette reprise en main pour la liberté de la recherche et de l’enseignement en Turquie.

Les Etats-Unis aideront la Turquie sur l'enquête

Au total, plus de 60 000 personnes qui ont été arrêtées, congédiées ou suspendues. Un nombre assez important pour que les économistes s'inquiètent maintenant de l'impact de ces purges sur le bon fonctionnement du pays dans les semaines à venir.

Sur le plan international, Barack Obama a promis que les Etats-Unis aideraient la Turquie dans l'enquête sur le putsch. Ankara réclame à Washington l'extradition du prédicateur, Fethullah Gülen, accusé par le gouvernement d'être derrière le coup de force. Ce que dément l'intéressé.

Après plusieurs jours de silence, la Maison Blanche a reconnu hier avoir reçu des documents liés à son extradition. Le porte-parole de la Maison Blanche a rappelé qu'un traité d'extradition existait entre les deux pays depuis les années 80 et qu'il devra être respecté. Barack Obama et Recep Tayyip Erdogan se sont entretenus au téléphone à ce sujet. Si le président américain a promis l'aide américaine dans l'enquête sur le putsch avorté, il a également insisté sur la nécessité de mener des investigations avec des méthodes respectant « les institutions démocratiques et l'Etat de droit ».

Source de tension entre les deux pays, Fetullah Gulen est exilé aux Etats Unis depuis 17 ans. Sans son extradition la relation entre nos pays aura du plomb dans l'aile, a menacé lundi le Premier ministre turc. Mais c'est déjà le cas, depuis que les Etats-Unis coopèrent avec les Kurdes de Syrie dans la lutte contre l'Etat islamique. Ce qui exaspère la Turquie, qui reste un partenaire clé au sein de l'Otan.

Illustration de cette crispation, le ministre de la Défense turc pourrait ne pas se rendre à Washington cette semaine pour participer à la réunion de la coalition internationale de lutte contre l'Etat islamique.


Les partisans d'Erdogan toujours dans la rue

Ces purges, dénoncées par l'opposition, sont saluées par le noyau dur des partisans du président turc, qui continue d'occuper tous les soirs, les principales places publiques d'Istanbul ou d'Ankara.

Avec notre envoyé spécial à Istanbul,  Daniel Vallot

Ils sont quelques milliers ce mardi soir sur la place Taksim à avoir répondu une fois de plus à l'appel du président turc. Certains d'entre eux viennent ici tous les soirs, à la tombée la nuit, sous l'immense drapeau rouge et blanc déployé sur la place.

Fatma Islamoglu, étudiante en droit de 19 ans, fait partie de ce noyau dur. Vendredi soir, elle était là, avec ses amis pour s'opposer au coup d'Etat. « Il y avait une foule immense. Personne n'avait peur, même lorsque les blindés fonçaient sur nous, même lorsque les F-16 ont commencé à voler de plus en plus bas pour nous décourager, rapporte-t-elle. Personne ne peut nous faire peur : nous sommes toujours là pour défendre notre patrie ! »

Pour Fatma, le risque d'un nouveau coup de force n'est pas totalement écarté, malgré l'échec des putschistes et les arrestations massives de ces derniers jours. C'est pour cette raison, dit-elle, qu'elle continue de se rendre tous les soirs sur la place Takism. « Nous sommes là pour les empêcher de se relever, explique-t-elle. C'est pour ça que nous occupons les places publiques. Pour éviter un coup d'Etat militaire comme en Egypte ! Si le gouvernement nous dit que le danger est passé, alors on pourra rentrer à la maison. Sinon, on reste là ! »

Pour les partisans du président Erdogan, les purges au sein de l'armée et de la fonction publiques sont totalement justifiées. Sur la place Taksim, ils sont nombreux à soutenir ces mises à pied et ces arrestations. Et à demander le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs du coup d'Etat.

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