La Turquie s’éloigne-t-elle durablement de l’Europe?

Quatre jours après le coup d’Etat avorté en Turquie, l’inquiétude quant à l’avenir du pays et de ses relations avec le reste du monde grandit en Occident, et notamment en Europe. Les Etats-Unis, l'Union européenne et l'Otan ont mis en garde, lundi 18 juillet, la Turquie contre la tentation d'une répression généralisée et du rétablissement de la peine de mort, exhortant Ankara à « respecter l'Etat de droit ».

Les inquiétudes sont nombreuses en Occident, mais ce qui est évoqué le plus souvent dans l’immédiat, c’est le risque de voir la Turquie rétablir la peine de mort. Le pays a aboli la peine capitale en 2004, mais dimanche 17 juillet, en réponse à ses partisans, le président Erdogan a déclaré que l'Etat turc devait envisager de la rétablir, après le putsch manqué de vendredi 15 juillet. Or, si tel était le cas, les conséquences pour les relations turco-européennes seraient extrêmement graves.

Pour Nicolas Monceau, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Bordeaux, le rétablissement de la peine de mort, « auquel l’Union européenne, et en particulier l’Allemagne, sont catégoriquement opposées », signifierait « la fin de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne », donc « cela remettrait totalement en question la relance des négociations d’adhésion qui a été effectuée depuis quelques mois, notamment dans le contexte de la crise migratoire ».

Réformes et inquiétudes

Et pourtant, la Turquie se prépare à adhérer à l’Union européenne depuis très longtemps. Elle a d'ailleurs fait des progrès considérables en la matière depuis la prise de pouvoir par le parti de Recep Tayyip Erdogan, l’AKP.

Une rupture des négociations constituerait donc un énorme gâchis, mais on ne peut pas l’exclure, pour des raisons qu’évoque Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie - Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales : « Il y a beaucoup de réformes qui ont été accomplies depuis 2002, explique-t-elle, et on peut créditer l’AKP de cette dynamique de progrès très importante qu’on a eu lors des premières années de la législature AKP. »Cela dit, « on peut quand même, de façon assez légitime, être inquiet sur l’évolution de la question des droits et des libertés en Turquie, et puis de la sécurité aujourd’hui ». Ainsi, « le pays est aujourd’hui dans une situation tout à fait exceptionnelle, qui de toute façon ne lui permet plus vraiment de mener à bien les réformes qui correspondraient au cadre européen et à l’idée qu’on se fait d’une démocratie libérale européenne », estime la chercheuse.

Un nouveau rapport de force

Dans le contexte politique actuel, avec d’énormes purges dans la magistrature, dans l’armée et dans la police, on pourrait d’ailleurs s’interroger sur la sincérité des intentions des autorités turques à rejoindre l’Union européenne. Vues de Bruxelles, les mesures prises à Ankara ressemblent furieusement à des provocations à l’égard des partenaires européens.

Ce questionnement légitime est une source supplémentaire des inquiétudes européennes. En effet, si les intentions d’Ankara n’étaient pas sincères, les relations avec la Turquie se transformeraient en épreuve de force, à la place de négociations et de réformes. Pour Nicolas Monceau, l’équipe du président Erdogan s’achemine plutôt vers cette solution. Selon le politologue, « l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne semble pas être perçue comme une priorité par le pouvoir turc ». Et pour cause : « On a déjà pu voir un nouveau rapport de force entre la Turquie et l’UE à l’occasion de l’accord controversé sur les réfugiés, dans le contexte de la crise migratoire. Il y a donc ici un rapport de force qui semble plutôt favorable à la Turquie. » Cette situation « peut expliquer en partie pourquoi les autorités turques semblent plutôt indifférentes face aux appels de l’étranger ». Appels qui se multiplient, mais qui risquent de rester sans réponse.
 

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