Royaume-Uni: comment le Brexit a déchaîné les passions

Au Royaume-Uni, la campagne pour le maintien ou non du pays dans l’Union européenne reprend progressivement après le meurtre de la députée travailliste Jo Cox. Un meurtre qui s’inscrit dans une campagne marquée par la violence des discours.

A quelques jours du vote, la campagne sur le Brexit a soudain pris un tour tragique. Jeudi 16 juin, la députée travailliste Jo Cox a été tuée de plusieurs balles et coups de couteau dans un village du nord de l’Angleterre où elle avait pour habitude de rencontrer régulièrement ses administrés.

A 41 ans, Jo Cox était une étoile montante du Labour et une farouche partisane du maintien dans l’UE. Son agresseur présumé, Thomas Mair, serait quant à lui un sympathisant des milieux néonazis. « Mort aux traîtres, liberté pour le Royaume-Uni », a-t-il lancé samedi 18 juin lors de sa première comparution devant le tribunal de Westminster. Au surlendemain du meurtre, la piste de l’extrême droite était privilégiée.

Une douche froide sur une campagne devenue brûlante

« Je pense que la manière dont nous faisons de la politique peut inspirer les gens, les décourager, créer un environnement toxique. Et je pense que la manière dont on fait de la politique dans ce pays est toxique, a réagi le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, lors d’un hommage à Jo Cox. Je pense que nous devons réfléchir à la manière dont cette campagne référendaire a été menée ». S’il est encore difficile à ce stade de l’enquête d’affirmer que le meurtre de la députée est lié au référendum, une chose est sûre : il a fait l’effet d’une douche froide sur une campagne devenue brûlante, attisée par les passions.

Promis par le Premier ministre David Cameron s’il était réélu en 2015, le référendum s’annonçait dès le départ comme un pari risqué. Il s’agissait de calmer les eurosceptiques de son parti tout en obtenant des concessions de la part de Bruxelles. C’était sans compter l’importance du sentiment anti-européen au Royaume-Uni. Et la force des arguments déployés par les partisans du « out ». Car là où les anti-Brexit ont fait appel à la raison, en insistant sur le danger que constituerait une sortie de l’Union européenne pour l’économie britannique, les pro-Brexit ont joué la carte de l’émotion. Une stratégie bien plus efficace. « Dans la campagne actuelle, la raison n’existe pas ; ce qui existe, c’est le cœur », estimait ainsi Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), sur RFI.

Des discours outranciers

Quitte à se livrer à toutes les outrances. Donnés battus par les premiers sondages, les partisans d’une sortie de l’UE ont multiplié à longueur de discours les mensonges, les approximations, les exagérations et les références douteuses pour gagner la main. Sur ce terrain-là, l’ancien maire conservateur de Londres Boris Johnson s’est particulièrement distingué en affirmant que l'Union européenne, comme Hitler, voulait créer un super-Etat : « Napoléon, Hitler, différentes personnes s’y sont essayés, et ça s’est terminé de manière tragique. »

Boris Johnson n’en était pas à sa première déclaration controversée. Un mois plus tôt, il avait mis en question les origines kényanes de Barack Obama, agacé par les prises de position du président américain en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Evoquant dans une tribune un buste de Winston Churchill prétendument retiré de la Maison Blanche, l’ancien maire de Londres avait écrit : « Quelques-uns ont dit qu'il snobait les Britanniques. D'autres disent que c'est le symbole de l'aversion ancestrale de l'Empire britannique d'un président en partie kényan. »

Dans le registre outrancier, le camp du « in » n'a pas été en reste. Le Premier ministre David Cameron y a lui-même versé en soutenant, lors d'un discours au British Museum, qu'une sortie de l'Union européenne accroîterait le risque d'une guerre : « L'Union européenne a contribué à réconcilier des pays qui se sont déchirés pendant des décennies. C'est dans l'intérêt national du Royaume-Uni de maintenir un objectif commun en Europe pour éviter de futurs conflits entre les pays européens. »

Pour Philippe Moreau Defarges, la violence des propos lors de cette campagne référendaire a atteint une ampleur inédite. Elle s’inscrit d’abord dans un climat plus général de violence verbale en Europe. « Il y a une espèce de radicalisation qui est liée incontestablement à la crise économique et politique de l’Europe », analyse le chercheur. Mais la brutalité des discours et leur irrationalité s’expliquent surtout par la gravité des enjeux. Car derrière la question d’une sortie de l’UE et de ses conséquences économiques se profile également celle de l'éclatement du pays, avec l’indépendance de l’Ecosse. « Les Britanniques ont le sentiment d’être devant un choix très grave, un choix qui pèserait très lourd. Les arguments rationnels n’ont plus tellement d’importance. On est vraiment dans le domaine de la polémique », insiste Philippe Moreau Defarges.

Une surenchère xénophobe

Une polémique qui s’est cristallisée autour de la question migratoire, transformant la campagne en une surenchère xénophobe, dont les ressortissants de l’Europe de l’Est ont été la cible privilégiée, accusés de profiter des prestations sociales, de voler des places dans les écoles et le travail des Anglais en faisant baisser les coûts de main-d’œuvre. Si le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, cette situation ne fera qu’empirer, ont rabâché les partisans du « out » en agitant la menace d’une criminalité venue de Turquie. Mais pourquoi une telle escalade dans un pays aussi cosmopolite ? « Cela s’explique par le fait que le Royaume-Uni a accueilli beaucoup d’étrangers ces dernières années […] Cet afflux de gens extérieurs à l’UE, et encore plus de gens originaires de l’UE, crée inévitablement un rejet. Il y a une espèce de seuil de tolérance qui a été franchi », avance Philippe Moreau Defarges. En 2015, le solde migratoire au Royaume-Uni a atteint un niveau record, à plus de 330 000 personnes.

La virulence de cette campagne a aussi été largement alimentée par une presse populaire extrêmement puissante au Royaume-Uni et traditionnellement eurosceptique. Des tabloïds comme le Sun, le Daily Mail – les deux plus gros tirages du pays – ou le Daily Express ont ainsi multiplié les prises de position contre le maintien dans l’Union européenne. A tel point qu’au lendemain de la tuerie d’Orlando, le Daily Mail a préféré consacrer sa Une à l’anniversaire de la reine et à un supposé complot européen pour faire venir 1,5 million de Turcs au Royaume-Uni. « C'est un processus de propagande implacable, analyse le journaliste Roy Greenslade sur son blog, cité par L’Obs. Les journaux n'influencent pas leurs lecteurs avec un seul titre, ou un unique édito. Il s'agit de marteler continuellement le même message, de renforcer les idées préconçues, dans toutes sortes d'articles. Mois après mois, c'est ainsi que les journaux font en sorte que leurs lecteurs ne se posent même plus de questions sur la propagande qu'ils consomment. »

A quatre jours du vote décisif, le ton de la campagne devrait s’apaiser. Mais ces derniers mois vont sans nul doute marquer durablement le pays.

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