De notre envoyé spécial en Turquie,
C’est un score électoral modeste : 13 %. Mais en l’atteignant, le 7 juin dernier lors des législatives, le HDP a franchi le seuil d’éligibilité de 10 % imposé par le système électoral à la proportionnelle en Turquie. Et 80 députés HDP ont ainsi été élus, sur un total de 550. Quatre mois plus tard, le HDP espère renouveler ce succès. Mais c’est un parti menacé qui se présente de nouveau devant les électeurs. En témoigne l’important dispositif policier déployé dans la petite rue d’Ankara où se trouve le siège du parti.
Dans son bureau qui ne paie pas de mine, Alp Altinörs, l’un des vice-présidents du parti, en décrit la genèse : « Le HDP est un parti de gauche issu de l’unification de tous les mouvements, toutes les luttes des opprimés, au sein de la société : les femmes, les mouvements écologistes, les mouvements de jeunesse, et aussi la grande lutte de libération du peuple kurde opprimé. » Sur le plan économique et social, le HDP est anti-libéral et revendique des points communs avec le parti grec de gauche Syriza.
Selahattin Demirtas, bête noire du président
A la tête du HDP, un dirigeant particulièrement apprécié par ses partisans : Selahattin Demirtas, 42 ans, devenu la bête noire du président Recep Tayyip Erdogan et de son mouvement islamiste conservateur, le Parti de la justice et du développement (AKP). Il faut rappeler que l’émergence du HDP aux législatives de juin a coïncidé avec le recul de l’AKP, qui a perdu la majorité absolue pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2002. Dans la foulée, aucune coalition de gouvernement n’a pu être formée ce qui explique ce nouveau vote en Turquie dimanche.
Entre les deux scrutins, on a assisté à une flambée de violence dans le sud-est de la Turquie à majorité kurde. On recense des centaines de victimes. Pour Alp Altinörs du HDP, c’est le président turc Recep Tayyip Erdogan qui a volontairement ravivé les flammes de ce conflit :
« Un processus de dialogue était en cours pour mettre fin au conflit armé en Turquie. Mais [Recep Tayyip Erdogan] l’a stoppé et a relancé la guerre. Il a une stratégie guerrière et il a forcé la Turquie à retourner aux urnes dans une situation de guerre. Il a pensé qu’ainsi, ajoute M. Altinörs, les gens tourneraient le dos au HDP, que personne ne voterait plus pour nous et que nous resterions sous le seuil électoral des 10 %. Et qu’il allait pouvoir retrouver la majorité absolue afin changer la Constitution et devenir un sultan élu. »
Des meetings frappés par les attentats-suicides
Dans les rangs de l’AKP, on conteste naturellement la version d'Alp Altinörs et on évoque la « guerre contre le terrorisme » menée sur deux fronts : contre la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et contre le groupe Etat islamique. Au sommet du pouvoir turc, on accuse le HDP d’être complice des combattants du PKK (ce que dément le HDP).
Et lorsque le 10 octobre dernier, 102 personnes perdent la vie à Ankara dans un attentat-suicide visant une manifestation au mot d’ordre proche de ceux du HDP, certains cadres du parti au pouvoir préfèrent décrire le parti pro-kurde comme le bénéficiaire de ce massacre, plutôt que comme sa cible : « Certaines forces ont essayé de stopper la montée en puissance de l’AKP et de briser la volonté des gens, assure Emrullah Isler, député AKP d’Ankara. C’est une coalition qui est passée à l’action pour faire chuter notre parti. Et en même temps, ils ont tenté de favoriser le HDP qui était en baisse dans les sondages. »
Avant le carnage d’Ankara, un meeting du HDP avait déjà été visé par un attentat-suicide en juin dernier à Diyarbakir. Le parti s’estime menacé par la mouvance jihadiste. Mais il a aussi été victime d’attaques nationalistes au cours des derniers mois. Ces jours-ci, il a donc renoncé à organiser des meetings de campagne, se contentant de réunions en petit comité.