Avec notre envoyé spécial à Bodrum, Daniel Vallot
C'est à 23 heures environ que le premier rendez-vous leur a été donné, sur cette petite place tranquille de Bodrum, à l'écart des touristes et de la police. Le long des habitations et des commerces, les gilets de sauvetage sont empilés à la hâte. En attendant le départ, les migrants protègent leurs affaires avec du scotch et des sacs plastiques. « Je suis en train de faire un sac pour mon argent, pour le protéger de l'eau. Je vais faire pareil pour mon téléphone et pour mon passeport », commente l’un d’eux. « Là, on part dans dix ou quinze minutes. Ils vont nous emmener en taxi jusqu'au point de rendez-vous », poursuit-il.
Le point de rendez-vous se trouve à trente kilomètres de Bodrum, le long d'une côte bordée de plages, située juste en face de l'île de Kos et de la Grèce. Sur la colline qui surplombe le littoral, des dizaines de migrants attendent dans l'obscurité le signal des passeurs pour dévaler la pente et se jeter sur les embarcations. « On est sept à partir, on attend que les passeurs apportent le bateau. C'est un canot gonflable et on va ramer nous-mêmes. Normalement, on part à deux heures. Et si tout va bien, on mettra trois heures pour arriver de l'autre côté », explique l'un d'entre eux.
Le groupe de migrants reste le plus silencieux possible. Il faut éviter d'alerter la police et les gardes-côtes. Ils s'assoient ou s'allongent dans les herbes hautes et regardent sans parler les lumières de Kos. Et cette mer noire et calme qu'ils devront franchir tout à l'heure, au péril de leur vie.
« C'est foutu, il faudra qu'ils recommencent »
L'heure du départ a sonné. Ils sont une quarantaine à se jeter dans l’eau pour grimper sur le canot pneumatique qui doit les emmener en Grèce. Les femmes et les enfants sont placés au milieu de l’embarcation, les hommes doivent se serrer sur les côtés. Certains ont à peine la place de s’asseoir et les passeurs qui entourent le zodiac les poussent brutalement à l’intérieur de l’embarcation.
Au bout de quelques dizaines de secondes, le canot décrit un arc de cercle et se dirige vers les rochers qui bordent la plage. Les migrants ne parviennent pas à manœuvrer et les passeurs sont obligés de se jeter à l’eau pour éviter que l’embarcation ne s’échoue. Le moteur s’arrête et les migrants restent bloqués sur l’eau à vingt mètres de la plage sans parvenir à redémarrer
« Le moteur est hors service », nous explique un chauffeur de mini-bus, qui a transporté les migrants sur place, et qui assiste, sourire aux lèvres, au départ avorté. « Ils ont mis trop de gaz quand ils ont démarré, dit-il. Maintenant c’est foutu : soit les garde-côtes arrivent, soit ils réussissent à s’échapper, mais de toute façon il faudra qu’ils recommencent. »
Au bout de quelques minutes, les passeurs parviennent à ramener le zodiac sur la plage. Les migrants paniqués se jettent à l’eau puis se mettent à courir, pour traverser la route qui longe la plage, et pour se cacher dans la colline qui surplombe la route. Les passeurs parviennent à mettre le moteur à l’abri, mais pas le zodiac, qui sera saisi par la police quelques minutes plus tard.