Grâce aux témoignages des soldats ukrainiens qui ont quitté la « poche » de Debaltseve mercredi dans la journée, recueillis notamment par notre envoyé spécial dans le Donbass Régis Genté, on en sait un peu plus sur le déroulé de la chute de la ville. On comprend que cela a été une bataille féroce, qui a gagné en puissance au fil des jours. Les Ukrainiens racontent à la presse combien les combats ont redoublé sitôt l'accord de cessez-le-feu entré en vigueur, dimanche dernier. Ils racontent l'encerclement, les tirs incessants de mortiers et de roquettes, le repli dans des tranchées secouées par les explosions.
Kiev ne cessait de tirer la sonnette d’alarme depuis la semaine passée. Les responsables ukrainiens disaient que les séparatistes pro-russes amassaient de l’armement lourd et sophistiqué autour de localité. On l'a ressenti pendant plusieurs jours à Donetsk : les séparatistes étaient particulièrement déterminés à reprendre Debaltseve, quitte à inventer des arguments, qui sont d'ailleurs ceux des plus hautes autorités de Moscou également, expliquant que la région de Debaltseve n'était pas concernée par le cessez-le-feu.
Derrière les pro-russes, toujours l'ombre de Moscou
Mardi 17 février, les forces ukrainiennes ont donc finalement lâché. A la tombée de la nuit, les rebelles contrôlaient 80% de la ville. Du coup, mercredi matin, ce conducteur de tank pro-russe se montrait sûr de la victoire : « Petit à petit, on avance. C’est calme déjà, retour à la normale. Mais non, non, je ne dis rien de plus… Rien de plus précis. » Pas question d’en dire trop en effet ; l’armée rebelle contrôle bien sa communication et se montre, d’une façon générale, très organisée.
Il faut y voir un indice supplémentaire qu’elle est encadrée par des officiers russes et pleine de soldats expérimentés venus de chez le grand frère. Ces derniers se présentent comme des volontaires. A titre d'exemple, au poste de contrôle de Vouglegirsk, les équipes de tankistes ainsi qu’un groupe de tireurs d’élite se distinguaient ce mercredi par leurs yeux bridés, par leur type asiatique. Des hommes venus de Sibérie.
Le feu va-t-il cesser, ou les rebelles veulent-ils plus ?
Debaltseve est tombée. Dès lors, le cessez-le-feu est-il mort, comme les bonnes intentions du sommet de Minsk ? C'est ce qu'il va falloir observer à présent. Mais une autre facette de la question est la suivante : les séparatistes veulent-ils poursuivre l'offensive et prendre le reste du Donbass ? A l'heure actuelle, ils en contrôlent environ un tiers. Certains craignent la poursuite du grignotage du territoire ukrainien, afin de déstabiliser et affaiblir davantage l'Ukraine.
Eduard Basourine, du ministère de la Défense de la République populaire de Donetsk, affirmait néanmoins ce mercredi soir que son gouvernement voulait désormais, lorsque la situation le permettra, retirer ses armes lourdes de la ligne de front, seconde étape après l'arrêt des hostilités selon les termes des accords de Minsk 2. Des observateurs pensent qu'il en sera ainsi. Car Vladimir Poutine, par l'intermédiaire des séparatistes que la Russie arme et encadre, a obtenu ce qu'il voulait pour le moment.
Au sommet de l'Etat ukrainien, un certain désarroi
Côté ukrainien, le président Petro Porochenko a tenu une réunion d’urgence de son Conseil de défense et de sécurité. Il en appelle à l’envoi d’une force internationale de maintien de la paix, comme l'explique notre correspondant à Kiev Sébastien Gobert. Le plus efficace, ce serait une mission de police de l’Union européenne. Petro Porochenko s’était longtemps opposé à l’idée d’une force d’interposition internationale déployée sur le terrain de l’est de l’Ukraine. Mais force est de constater que ses troupes ne sont pas de taille à contenir les avancées des forces pro-russes et russes.
La stratégie de Kiev dans le Donbass suscite de nombreuses critiques. Petro Porochenko est accusé de vouloir camoufler une défaite sous le vernis d'une victoire politique et de sous-estimer les pertes subies à Debaltseve. Aussi, il serait temps pour une force internationale de maintien de la paix - à condition que celle-ci ne comporte pas d’éléments russes. Il n’est cependant pas dit que l’UE accepte d'envoyer des troupes. Cela reviendrait à déployer des forces de l’Otan en face de groupes armés liés plus ou moins directement à l’armée russe. Mais en lançant cet appel, les Ukrainiens montrent à nouveau à quel point ils sont démunis face à cette guerre hybride.
→ À relire : Après Debaltseve, va-t-on vers un élargissement du conflit ?