L'initiative franco-allemande a été accueillie avec une certaine bienveillance par Moscou. « Nous sommes prêts pour des discussions constructives. Des discussions pour faciliter l’établissement d’un contact direct entre les représentants de Kiev et ceux du Donbass », a déclaré un conseiller diplomatique du président Poutine, faisant bien en sorte, une fois de plus, de présenter la Russie comme un pays facilitateur, commente notre correspondante à Moscou Muriel Pomponne.
Officiellement, le Kremlin ne connaît pas les détails de ce plan de paix. Il serait basé sur le respect de l’intégrité territoriale de la Crimée, avec une certaine autonomie pour le Donbass. Mais autonomie ? Fédération ? Et sur quelle étendue de territoire ? Les supputations vont bon train.
En tout cas, d’après certaines indiscrétions, il s‘agirait en fait d’une contre-proposition à un plan proposé par Moscou. Washington n’aurait pas été consulté mais informé et ne serait pas hostile à l’initiative. Tout cela n’est pas pour déplaire à Vladimir Poutine, qui cherche depuis longtemps à écarter les Etats-Unis du dossier.
Plus d’autonomie pour le Donbass, si telle est la proposition, cela convient aussi au Kremlin. Son objectif est d’empêcher toute alliance entre l’Ukraine et les pays occidentaux, en gardant le contrôle sur l’est de l’Ukraine. Mais ces concessions suffiront-elles au président russe, qui ne cesse, depuis qu’il est au pouvoir, d’étendre son influence sur les pays voisins par le moyen des armes ?
Négociations marathon à Kiev
Jeudi 5 février, après cinq heures de discussion dans le bureau du président ukrainien à Kiev; très peu de choses ont filtré. Les trois dirigeants n’ont pas fait de déclaration commune à l’issue de ces pourparlers. L’objectif, a expliqué la diplomatie française, était d’aboutir à une sortie de crise acceptable par tous.
Hier soir, Petro Porochenko affichait l’optimisme avec l’espoir d’aboutir à un cessez-le-feu rapidement. La base des discussions reste les accords de Minsk conclus début septembre. Ces accords prévoient en particulier le retrait des armements lourds de part et d’autre d’une ligne de front.
Mais le problème, c’est que depuis début septembre, les lignes ont bougé. Les rebelles ont gagné du terrain et élargi le territoire qu’ils contrôlent. Selon des informations du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, l’idée pourrait être de persuader Kiev d’accepter que les séparatistes contrôlent plusieurs centaines de kilomètres carrés supplémentaires. Informations de la presse allemande démenties dans la foulée par Berlin et le gouvernement ukrainien.
Un « piège »
La cession d'une partie du territoire ukrainien aux rebelles pro-russes risque d’être difficilement acceptée par le Premier ministre ukrainien, qui s’est exprimé jeudi lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui lui-même a déclaré ne pas être au courant des détails de l’initiative franco-allemande.
« Nous avons déjà eu un accord à Minsk. Maintenant, on aurait un nouvel accord sans avoir mis en œuvre le précédent ? Cela me semble être un piège, a réagi Arseni Iatseniouk. Nous insistons [pour] que la Russie mette en œuvre ce qui a déjà été négocié, signé, et approuvé personnellement par le président Poutine. Nous avons déjà travaillé dans différents formats. Le premier, c’était le format de Genève, après c’était celui de Normandie. Et moi, je pense que le meilleur format serait celui de Kiev.
Il supposerait de réunir les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, l’Union européenne et l’Ukraine autour d’une même table, afin d’établir une position unique, commune, forte et solide. La seule idée qui nous anime, c’est d’obtenir la paix. Ceci dit, nous n’allons jamais prendre en considération des propositions qui sapent notre indépendance, notre intégrité territoriale, ou notre souveraineté. C’est notre choix, notre choix européen, et nous l’avons payé de nos vies à Maïdan. »
Livraison d'armes américaines ?
Lors de sa rencontre avec le président ukrainien Petro Porochenko ce jeudi, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a évoqué une éventuelle livraison d'armes américaines pour aider Kiev à combattre les séparatistes pro-russes. Washington n'y est pas ouvertement favorable mais ne « fermera pas les yeux » sur la présence de chars et de soldats russes aux côtés des rebelles séparatistes, a mis en garde John Kerry.
Mais l'Union européenne reste réticente à des livraisons d’armes à l’Ukraine. Cette option n'est d'ailleurs pas non plus envisagée par les Etats membres de l'Otan qui l'ont répété lors d'une réunion à Bruxelles. En revanche, l'organisation a décidé de créer une nouvelle force de 5 000 hommes rapidement mobilisable ainsi que six « centres de commandement » en Europe de l'Est en réponse à « l'agression » de la Russie en Ukraine. La France, l'Allemagne, l'Italie, la Pologne, l'Espagne et le Royaume-Uni seront les premiers pays à participer à cette nouvelle force baptisée « fer de lance » et qui doit être opérationnelle en 2016.
Chaque jour des dizaines de morts et de blessés
Sur le terrain, dans l'est de l'Ukraine, la situation se dégrade de jour en jour, constatent nos envoyés spéciaux Boris Vichith et Anastasia Becchio. Les bombardements indiscriminés de part et d’autre n’en finissent pas de faire des victimes. A Donetsk, des obus tombent sur des immeubles résidentiels, des hôpitaux, des écoles, des terrains de jeux, tuant et mutilant des dizaines de civils chaque jour.
La situation humanitaire est aussi toujours délicate du côté de Debaltsevo, un nœud ferroviaire et stratégique au nord-ouest de Donetsk. Les combattants séparatistes tentent toujours d’encercler cette ville qui est sous contrôle ukrainien. Ils continuent d’avancer pas à pas dans les localités alentours et la population reste prise entre deux feux. Un espoir quand même ce vendredi matin, les représentants séparatistes affirment qu’ils se sont mis d’accord avec Kiev pour observer une trêve et permettre l’évacuation des civils qui sont encore coincés à Debaltsevo.
Environ 25 bus sont arrivés sur place pour ces opérations. Difficile pour nos envoyés spéciaux de savoir combien de personnes ont besoin d'être évacuées de cette ville qui comptait 25 000 habitants avant la guerre. Difficile aussi d'établir un contact avec des personnes qui se cachent dans des sous-sols, dans une ville où les communications sont difficiles.
→ (RE)LIRE : les reportages de nos envoyés spéciaux sur une morgue saturée et un hôpital bombardé de Donetsk
L'Ukraine sera également au centre des discussions ce vendredi au premier jour de la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité, qui réunira jusqu'à dimanche les experts mondiaux de la Défense, et lors des rencontres à Bruxelles entre le vice-président américain Joe Biden et les responsables des institutions européennes.