Les parlementaires en poste aujourd’hui avaient été élus en 2012 sous le mandat du président pro-russe Victor Ianoukovitch, destitué en février dernier. Théoriquement, ils auraient pu rester là jusqu’en 2017, mais le « Maïdan », cette grande mobilisation populaire, est passé par là. Après les événements sanglants de la place de l’Indépendance fin février où près de 100 manifestants ont été tués, le départ de Victor Ianoukovitch et l’arrivée de pro-Européens aux affaires du pays, les Ukrainiens exigent un renouvellement du système politique.
« Convoquer une élection anticipée est une manière de renouveler le personnel politique, d'autant plus qu'une partie des anciens députés avaient voté les lois du 16 janvier, ces lois liberticides qui avaient été la première raison des violences qui ont eu lieu sur le Maïdan à partir du mois de janvier », explique Ioulia Shukan, maître de conférence à l’université Paris X-Nanterre.
Un moment opportun pour Porochenko
Il y a aussi un intérêt politique : « Petro Porochenko bénéficie d'une grande popularité en ce moment en Ukraine, poursuit l’universitaire, les Ukrainiens soutiennent sa politique, c'est donc pour lui un moment opportun pour convoquer une nouvelle élection ». Et le pari devrait s’avérer gagnant : les derniers sondages donnent la formation présidentielle du « Bloc de Petro Porochenko » largement en tête, avec 30,4% des intentions de vote, selon le sondage conjoint de l’Institut de sociologie de Kiev et de la fondation Initiatives démocratiques. Le Front populaire du Premier ministre Arseni Iatseniouk devrait siéger au Parlement, mais il arrive loin derrière avec 10,8% des intentions de vote. La formation pro-occidentale Samopomitch, principalement composée de militants de la société civile, est créditée de 8,5% des intentions de vote, tandis que le parti Batkivchtchina de Ioulia Timochenko, la flamboyante ancienne chef du gouvernement, est à 7,5%.
Un scrutin mi-proportionnel, mi-majoritaire
Le mode de scrutin en Ukraine est particulier : la moitié des députés, soit 225, sont élus au scrutin proportionnel, l’autre moitié au scrutin majoritaire à un tour. C’est un système qu’il aurait fallu changer, selon le politologue ukrainien de l’université de Donetsk, Vladimir Kipen. « L’une des principales exigences des militants de la société civile et des nouveaux partis politiques était que l’élection se déroule uniquement selon un scrutin proportionnel. Le but était d’exclure, ou en tout cas de minimiser les possibilités d’achats d’électeurs. Malheureusement, il n’a pas été possible d’effectuer ce changement dans le système politique et ce scrutin législatif se déroulera comme les précédents ».
De son côté, Ioulia Shukan voit dans ce scrutin à la fois continuité et rupture. Les pratiques électorales héritées du passé se perpétuent : clientélisme, achat de voix dans les diverses circonscriptions, ou paniers de denrées alimentaires distribuées. Les exemples ne manquent pas. Toutefois, « après les mobilisations de cet hiver, les électeurs sont beaucoup plus conscients, plus vigilants », constate Ioulia Shukan. « Il y a un certain nombre d'organisations, de structures, ou tout simplement de citoyens qui dénoncent des pratiques de corruption et d'achat de voix. Il y aussi rupture, parce qu'à côté des anciennes élites qui se présentent à l'élection il y a aussi un certain nombre de militants du Maïdan, de journalistes, qui ont décidé d'entrer en politique pour essayer de peser de l'intérieur sur ce système. »
Le danger du populisme patriotique
Autre nouveauté : la présence dans les listes de plusieurs partis, de commandants de bataillons de volontaires, mis en cause dans des actes de torture dans le Donbass. C’est notamment le cas du parti radical du populiste à la réputation sulfureuse, Oleg Liachko, crédité de 10,8% des intentions de vote. Le danger du populisme patriotique est bien présent aujourd’hui dans la société ukrainienne, mais il ne doit pas être surestimé, analyse Volodymyr Ermolenko, politologue de l’université Mohyla de Kiev. « C'est un schéma classique des sociétés post-révolutionnaires : le degré de populisme y est toujours plus élevé. Il me semble quand même que ça pourrait être pire. Actuellement, en Ukraine, les gens veulent surtout avoir des hommes politiques qui proposent des solutions viables. »
Des combats dans l'Est malgré le cessez-le-feu
Ce scrutin se déroule dans un contexte particulier. En dépit d’un cessez-le-feu conclu le 5 septembre à Minsk, les armes continuent de faire chaque jour des victimes dans l’est du pays, traditionnel réservoir de voix des partis pro-russes. Dans les régions contrôlées par les séparatistes, et notamment dans les villes de Louhansk et Donetsk, les autorités ont décidé de boycotter le scrutin. Deux formations pro-russes, Ukraine forte et le Bloc d’opposition, héritiers du Parti des régions de Victor Ianoukovitch pourraient quand même franchir la barre des 5% nécessaires pour siéger au Parlement, qui aura, quoi qu’il arrive, une très forte coloration pro-occidentale.