Ecosse: «La promesse d’autonomie de Londres arrive un peu tard»

Pour la première fois depuis le début de la campagne, les Ecossais seraient majoritaires à voter pour l’indépendance de leur nation. Selon un sondage du Sunday Times paru dimanche, les unionistes sont crédités de 49% et les séparatistes de 51%. Face à cette montée, le Premier ministre David Cameron arrive à Edimbourg avec à ses côtés Nick Clegg du Parti libéral-démocrate et le chef de l’opposition travailliste Ed Miliband. Trois hommes pour convaincre les électeurs écossais de ne pas rompre avec la Grande-Bretagne. Edwige Camp-Piétrain, professeur de civilisation britannique à l’Université de Valenciennes, dans le nord de la France, livre son analyse à RFI.

RFI: Ce déplacement des trois leaders britanniques, est-ce qu’il est symbolique ou bien est-ce qu’il marque une réelle peur au Royaume-Uni de perdre l’Ecosse?

Edwige Camp-Piétrain: Il marque une réelle peur. Les trois partis qu’ils représentent ont fait campagne ensemble, ont mené une campagne unitaire pour le « non ». Mais les trois hommes ne s’étaient jamais affichés ensemble, du moins David Cameron, leader du Parti conservateur, et Ed Miliband, leader du Parti travailliste. Donc cette visite marque réellement une peur.

Cela veut dire que le camp du « non » a sous-estimé la campagne faite par les partisans du « oui » ?

Oui, en partie. Notamment les conservateurs qui tenaient le résultat pour acquis. Pour certains d’entre eux, c’était presque une formalité. Il fallait le faire parce que le Scottish National Party était devenu majoritaire au Parlement écossais, donc il avait toute légitimité à organiser ce référendum. Mais finalement, certains conservateurs avaient l’impression que ce référendum serait facile à gagner pour eux. Or, ce n’est pas le cas. D’ailleurs, le leader de la campagne unitaire, Alistair Darling, qui est un homme politique travailliste, avait bien mis en garde contre ce risque-là car les militants nationalistes étaient particulièrement déterminés, et ce depuis le début. Ils sont très motivés dans cette campagne.

Ce déplacement des trois leaders politiques, peut-il changer la donne?

Ils vont jouer effectivement sur la corde émotionnelle : « Ne nous quittez pas, restez avec nous ». Mais d’un autre côté, ce déplacement peut être contre-productif puisqu'Alex Salmond, le leader du Scottish National Party, clame haut et fort qu’il s’agit d’une réaction de panique et que ce déplacement montre la connivence des trois partis britanniques, les trois partis de Londres contre les intérêts écossais, contre l’Ecosse.

Pour justifier également sa démarche, David Cameron a promis un compromis, à savoir plus de pouvoir à l’Ecosse sans indépendance. Un compromis qui reste flou pour le moment. Est-ce que ça contribue aussi à une percée des indépendantistes ?

C’est un compromis. La proposition au départ est astucieuse puisque lorsque les sondages d’opinion offrent plusieurs options aux Ecossais, c’est-à-dire le statu quo institutionnel, plus de pouvoir pour le Parlement écossais et l’indépendance, les Ecossais choisissent majoritairement d’accorder plus de pouvoir au Parlement écossais. Donc c’est une option qui peut avoir leur faveur. Mais cette proposition vient un peu tard, car jusqu’à présent, les trois partis britanniques ont formulé leurs propres propositions. Chacun a son propre projet. Donc le fait de vouloir aujourd’hui parvenir à une semaine du référendum, à un projet commun, ça arrive un peu tard.

Les partisans du « non » mettent en avant les risques économiques que l’Ecosse encourrait si elle devenait indépendante. Est-ce que ça peut être suffisant pour faire pencher la balance en leur faveur?

Effectivement, l’axe économique est un axe majeur pour le Scottish National Party et pour ses opposants. Les deux camps ont essayé de chiffrer de la manière la plus précise possible quels pourraient être les effets de l’indépendance. Côté SNP [Parti national écossais], on attend plus de prospérité et côté unioniste, on attend un affaiblissement. Mais l’abondance de chiffres paraît quelque peu nuire aux propos puisque dans cette campagne, il y a certes des données prévisibles mais il y a une grande part d’événements qu’on ne peut prévoir et le SNP attend beaucoup d’effets favorables de la création d’un nouvel Etat, une véritable libération des énergies.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation à une semaine du référendum?

Difficile de prévoir. Les militants nationalistes sont vraiment déterminés sur le terrain et c’est une chance historique pour eux. Et lors des élections au Parlement écossais de 2011, ces mêmes militants avaient réussi à inverser la tendance. Le SNP, donné perdant au départ, a fini par remporter une majorité absolue. Bien sûr l’enjeu n’est pas le même, il est tout autre. Il ne s’agit pas simplement de gagner une élection. Mais on peut faire confiance aux nationalistes très déterminés.

Dans un cas comme dans l’autre, la victoire du « oui » ou celle du « non », comment peut évoluer la situation?

Si les Ecossais votent « oui », dans ce cas-là des négociations vont s’engager entre le gouvernement britannique et le gouvernement écossais pour partager l’Etat britannique. Et si les Ecossais votent « non », dans ce cas il faudra s’en remettre à la promesse de transfert supplémentaire de pouvoir au Parlement écossais. Mais dans les deux cas, d’après les derniers sondages d’opinion, le résultat risque d’être très serré. Et par exemple, une victoire des unionistes avec une courte majorité pourrait inciter les nationalistes à vouloir organiser un nouveau référendum dans un avenir relativement proche.

A signaler :

Edwige Camp-Piétrain est l’auteur de L’Ecosse et la tentation de l’indépendance, aux éditions du Septentrion.

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