Echec du sommet de Bruxelles: «pas de clarté sur le processus»

Pas d’accord mercredi 16 juillet à Bruxelles. Les 28 dirigeants européens ne sont pas parvenus à s’entendre sur les nominations aus hauts postes de l’UE. Ils se sont donné jusqu’au prochain sommet extraordinaire, prévu le 30 août, pour trouver des compromis, notamment sur les noms du président du Conseil européen et sur celui du chef de la diplomatie de l'Union européenne.

RFI : Yves Bertoncini, bonjour. Vous êtes directeur de Notre Europe - Institut Jacques Delors. Cet échec a trouvé un consensus. Est-il une surprise ?

Yves Bertoncini : Pas véritablement, parce qu’il y a tellement de paramètres à prendre en considération. Les choses se font de manière tellement opaque qu’il était assez improbable qu’une fumée blanche émane du concile des cardinaux hier soir. C’est un peu un Rubik's cube qu’il faut essayer de manœuvrer pour avoir le résultat final avec beaucoup de considération partisane, nationale, personnelle. On peut se donner, comme l’a dit Herman Van Rompuy, un mois de plus pour y parvenir.

Pourquoi est-ce si difficile de trouver un compromis ?

Parce qu’il faut combiner d’abord des équilibres partisans. Premièrement, le rapport droite-gauche, en fonction des résultats des élections européennes, mais aussi de ce qui se passe au niveau national : l’équilibre entre la droite et la gauche au niveau des Etats.

Il faut ajouter à cela des considérations liées au pays d’origine des candidats, des pays fondateurs ou pas, des pays membres de la zone euro ou pas, des pays de l’est ou de l’ouest, du nord ou du sud. Et puis à cela, vous ajoutez enfin des considérations personnelles ; le profil des candidats, leurs compétences, leur expérience, également leur genre – homme ou femme. Il y a donc trois séries de dimensions à prendre en considération. C’est vraiment un questionnaire à choix multiple (OCM) ou un Rubik's cube.

C’est pour ça que c’est très difficile à assembler, surtout qu’on a déjà une première réponse, avec monsieur Juncker, président de la Commission, homme de droite et venant du Luxembourg, un pays fondateur. Il faut tenir compte de cela pour essayer maintenant de compléter le casting, présidence du Conseil européen, vice-président de la Commission chargé des Affaires extérieures et puis tout le collège des commissaires.

Vous évoquiez Jean-Claude Juncker qui vient d’être élu à la tête de la Commission. Est-ce que le fait d’absence de compromis, en tout cas pour l’instant, peut l’handicaper dans la politique qu’il entend mener ?

Ça peut l’handicaper au sens où maintenant il doit constituer son équipe. Il souhaite le faire avant la fin du mois de juillet. Il voudrait que les États membres lui fassent part de leur choix, en disant : voilà mon candidat, c’est celui-ci, etc. Simplement pour qu’il assemble son équipe, pour qu’il attribue les 27 postes, y compris le poste de vice-président chargé des Affaires extérieures, il faut des noms, il faut un compromis des Etats.

Donc effectivement, ça va le handicaper, parce que durant un mois – sauf s’il veut faire un coup de force, mais on ne voit pas trop comment – il ne va pas pouvoir former son équipe, sachant qu’elle doit ensuite préparer un programme détaillé, en vue d’auditions au Parlement européen qui sont réputées avoir lieu dans la semaine du 22 septembre. Donc ce sera plus difficile pour lui s’il ne peut pas boucler son équipe avant le début du mois de septembre.

Ça veut dire que maintenant les tractations vont se jouer en coulisse ?

Oui, c’est un petit peu d’ailleurs ce qui est déplaisant, parce qu’au fond il y a trois dimensions à combiner ; partisane, pays d’origine et personnelle. Mais pour les observateurs, c’est plutôt la quatrième dimension. Parce qu’en réalité, il n’y a pas de clarté sur ce processus tant il est au niveau des Etats.

Il y aura de la clarté ensuite, quand les commissaires européens seront auditionnés par le Parlement européen. Mais ça, c’est l’étape suivante. C'est-à-dire les auditions prévues en septembre pour un vote d’investiture de la Commission. Entre-temps, on en est réduits à décrypter ce qu’a dit François Hollande, ce qu’a dit Angela Merkel et ce que disent les chefs d’Etat et de gouvernement. Tout cela n’est pas très clair, mais encore une fois, ça va peut-être s’éclaircir d’ici quelques semaines.

Vous avez employé le terme de « 4e dimension ». Pas de quoi en tout cas améliorer l’image qu’ont les Européens des institutions...

Sans doute. Surtout qu’effectivement ça donne le sentiment d’une foire d’empoigne sans résultat. C’est pour ça qu’il y a un besoin de pédagogie à faire sur des dimensions qui sont légitimes. C’est normal de regarder les équilibres partisans. C’est normal de regarder les équilibres entre pays où les profils personnels, y compris homme-femme. Mais il faut le faire de manière plus transparente pour qu’on sache, et que les citoyens observateurs sachent sur quelles bases ce compromis doit être fait. Parce qu’à la fin, évidemment, il y aura une logique de compromis, une approche de grande coalition avec un équilibre entre États membres. Tout ceci sur le fond n’est pas critiquable. Mais c’est vrai que la forme l’est.

Les Vingt-Huit, on l’a dit, se retrouveront pour un nouveau sommet fin août. Que se passera-t-il si une fois encore s'ils n’arrivent pas à s’entendre ?

Je crois que le temps va faire son œuvre. Ils devraient y arriver. S’ils n’y arrivaient pas, on décalerait d’un mois. C'est-à-dire que la Commission européenne est supposée entrer en fonction le 1er novembre, mais elle peut tout à fait entrer en fonction le 1er décembre. Ça s’est déjà vu. Ou même le 1er janvier, ça s’est aussi déjà vu.

Cela ne bouscule pas le bon fonctionnement des institutions ?

Il y a une Commission actuellement qui fait son travail. Mais elle est en fin de course. Ça ne bouscule pas, mais on peut dire que ça n’aide pas. Cela donne une image d’Union européenne tournée vers son fonctionnement interne, ses équilibres internes, alors même qu’il y a un très grand nombre de défis politiques en Europe et aux frontières de l’Europe, au niveau mondial, qu’elle doit relever.

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