Italie: arrivée massive de migrants, la classe politique s'insurge

Plusieurs milliers de réfugiés sont arrivés en début de semaine dans trois ports italiens à la suite d'une vaste opération de sauvetage internationale effectuée en Méditerranée. 25 embarcations chargées de migrants parties de Libye ont ainsi pu être secourues. La droite dénonce une opération qui «encourage l'immigration clandestine ». «Quelle est l'alternative ? » répond la gauche en quête d'une responsabilité partagée avec l'Europe. Invité de RFI, Jean-Léonard Touadi, député du Parti démocrate italien, dénonce une « politique de l'autruche ».

RFI : Jean-Léonard Touadi, vous êtes originaire du Congo-Brazzaville vous êtes député du Parti démocrate italien. La droite italienne dénonce cette opération « Mare Nostrum » parce qu'elle « encourage l’immigration clandestine » . Que lui répondez-vous ?

En fait, dans cette critique qui est portée au Parti démocrate, il y a une part de surenchère électorale. En Italie on a voté hier pour le deuxième tour des élections administratives, l’immigration a toujours représenté un fonds de commerce de certains partis de droite et d’extrême droite en Italie. Et ce que nous opposons à cette critique c’est « quelle est l’alternative ? ». Faut-il donc envoyer des bataillons de marine militaire européens ou italiens pour tirer avec les canons sur ces migrants ou bien les sauver ?

Le flux d’immigrés, venus notamment de Lybie, n’a cessé d’augmenter : 50 000 en 5 mois depuis le début 2014, autant que sur l’ensemble de l’année 2013. Cette immigration a changé de nature : ce sont essentiellement des demandeurs d’asile qui prennent la mer en direction de l’Italie ?

Les crises qui occasionnent ces départs sont des crises méditerranéennes, la Syrie en l’occurrence. Et la crise syrienne s’aggrave de plus en plus, donc il y a des millions de personnes qui fuient la Syrie en direction d’autres pays du Moyen-Orient et en direction de l’Europe notamment et puis la Corne de l’Afrique. La troisième raison, c’est l’instabilité libyenne, la Libye est devenue un Etat néant avec de plus en plus de difficulté d’avoir un interlocuteur avec lequel construire une politique d’examen des requêtes d’asile politique en Europe à partir des territoires de transition, notamment la Libye.

Une fois qu’on a constaté cela, on peut aussi dire que l’accueil est extrêmement compliqué dans les localités du sud de l’Italie. Aujourd’hui, les municipalités sont débordées, elles le disent, elles appellent l’Europe au secours.

Il y a quelqu’un ici en Italie qui est en train de porter l’île de Lampedusa et la Sicile candidates au prix Nobel pour l’effort immense que les populations et les autorités locales sont en train de fournir et il s’avère que les structures sont en train d’éclater. Il n’y a vraiment pas de structure aujourd’hui en Sicile en mesure d’absorber 2 500 ou 3 000 migrants rien que ce week-end. Je crois qu’il n’y a pas un pays en Europe qui soit en mesure d’affronter un tel poids. Et donc, quand l’Italie dit « nous sommes laissés seuls », ce n’est pas une question de ressources de l’Union européenne, c’est une notion de co-responsabilité et co-solidarité de l’Europe, à partir du moment de l’accueil de ces migrants qui, tous, désirent utiliser l’Italie comme un pays de transit pour aller vers le nord de l’Europe, en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Donc, c’est un peu la politique de l’autruche, ce n’est pas la peine de feindre de ne pas voir le problème parce que tôt ou tard, les pays de l’Europe vont se confronter à ces flux migratoires qui ont pour destination, justement, le reste de l’Europe.

Justement, on a salué lors des dernières élections européennes le bon score du parti du président du conseil, Matteo Renzi. L'Italie va prendre la présidence tournante de l’Union européenne au mois de juillet. Est-ce que le Premier ministre est susceptible d’après vous d’intéresser les 27 partenaires de l’Union à cette question et de faire avancer les choses pour une prise en charge commune ?

Nous sommes un exemple patent du fait qu’il est possible de gagner des élections sans utiliser l’immigration comme un fonds de commerce et qu’il est possible d’accentuer la question de l’immigration avec humanité et rationalité. Donc, il faut avoir une politique cohérente, courageuse, avoir une pédagogie d’explication à son électorat sur ce qui est en train de se faire. Cela étant dit, la présidence italienne sera très importante parce que c’est la dernière présidence méditerranéenne après la Grèce. Après, je crois qu’il faudra attendre plusieurs années avant qu’un pays méditerranéen puisse être à la présidence tournante de l’Union européenne ; et nous avons fermement l’intention de poser la question de la Méditerranée, de l’immigration, comme une question cruciale.

Pour vous c’est vraiment le moment d’agir, avec quelles propositions concrètes ?

L’idée c’est, avec la communauté internationale, avec la Croix-Rouge, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la possibilité de filtrer, à partir des territoires de transit, donc à travers les ambassades européennes, les demandes, les requêtes d’asile, pour éviter justement que les gens puissent utiliser des moyens illégaux pour traverser la Méditerranée alors qu’ils auraient pu légalement demander l’asile politique depuis les territoires de transit. Par exemple, nous visons à ce que soit revu ce mécanisme de Dublin, pour lequel vous ne pouvez faire votre requête d’asile que dans le premier pays dans lequel vous avez été accueillis. Avec ce mécanisme, il n’y a que l’Italie, la Grèce et Malte qui pourraient donc offrir l’asile politique aux migrants, donc c’est un mécanisme qui est assez pervers.

En même temps, on parlait tout à l’heure des résultats de l’Italie aux élections européennes, mais dans le reste de l’Europe il y a eu quand même un vote anti-immigration très fort. Vous pensez que l’Europe est prête aujourd’hui à se saisir de cette question de la demande d’asile et de l’immigration ?

Je crois que l’impuissance de l’Europe dérive justement de la méthode intergouvernementale. S’il y avait véritablement une politique européenne coordonnée, avec une co-responsabilité et donc avec des charges qui ne pèsent pas simplement sur les pays d’accueil, mais qui sont distribuées de façon équitable sur l’ensemble du territoire, je crois que l’Europe, avec 500 millions d’habitants, est en mesure d’absorber les 400 000 migrants qui frappent chaque année aux portes de l’Europe. Alors aussi qu’il y a d’autres pays comme le Liban, la Jordanie, qui sont en train actuellement de supporter un poids beaucoup plus lourd que ne le supporte l’Europe.

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