RFI : Peut-on parler d’une dégradation de la situation dans l’est face à ce qui s’est passé ces dernières heures à Donetsk ?
Mathieu Boulègue : On peut parler de dégradation en effet, mais la situation n’a vraiment pas été stabilisée depuis plusieurs mois dans l’est de l’Ukraine. On assiste plutôt à une remontée des violences en lien directement avec les résultats de la présidentielle. Il s’agit un petit peu de la dernière chance pour les séparatistes puisque le nouveau président, qui sera bientôt investi, a promis de mettre fin au mouvement séparatiste. Donc effectivement, c’est un petit peu une lutte de la dernière chance d’autant plus que si des négociations doivent avoir lieu dans l’est de l’Ukraine, elles devront se faire avec les politiques, c’est-à-dire avec des représentants du peuple, et non pas des hommes en armes. En fait, Poroshenko essaie de laminer les mouvements, c’est vraiment le discours qui est employé, « on va laminer et nettoyer les terroristes ». C’est un discours dur qui rappelle presque le discours de la Tchétchénie avec la Russie, pour ensuite mettre en place des politiques qui pourront représenter, comme autorité officielle, l’Est du pays.
Petro Poroshenko parle d’une opération antiterroriste. On a vu mardi, en particulier, des moyens très lourds : l’aviation, des hélicoptères…
Effectivement, c’est un déploiement de forces très important. Cela dit, il s’agit d’une continuité de ces activités antiterroristes puisque elles avaient été initiées par l’ancien président qui est toujours en fonction, le président par intérim Olexandre Tourtchinov. On continue cette rhétorique dure contre les terroristes. On continue des manœuvres très offensives et on pousse un maximum l’armée pour aller « nettoyer » ces séparatistes.
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Du côté de Moscou, Vladimir Poutine a dénoncé ces dernières vingt-quatre heures une opération punitive. N'attendons pas justement que la Russie exprime directement son sentiment au sujet du nouvel élu à Kiev ?
Tout à fait. Il y a déjà quelques signes par rapport à ce rapprochement ou pas avec Monsieur Poroshenko. Le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a déjà annoncé que les négociations avec le nouveau président auraient lieu si Poroshenko ouvrait le dialogue avec l’Est. Encore une fois, on conditionne la réouverture du dialogue. Puis en ligne de mire, il y a cette question du gaz où là, le ministre russe de l’Energie, Monsieur Novak, a annoncé mardi encore un ultimatum par rapport au gaz russe, que Kiev devait payer les deux milliards de dettes avant la fin de la semaine, avant de pouvoir ouvrir une quelconque négociation sur le prix du gaz, et la renégociation du contrat gazier. Encore une fois, des conditions posées par Moscou avant la réouverture de tout dialogue avec l’Ukraine.
Il va y avoir un dialogue qui va s’instaurer directement avec l’Ouest, avec la France. Une réunion est annoncée à Paris avant les commémorations du débarquement. Ce sera le 5 juin prochain. Est-ce que justement on peut attendre un déblocage par rapport aux conversations qui se préparent avec certains pays d’Europe ?
C’est la carte en tout cas que souhaite jouer le nouveau pouvoir. Poroshenko a annoncé que le « chemin » de l’Ukraine était d’aller vers l’Europe. Par ailleurs, il temporise aussi et il avait déjà annoncé il y a quelques semaines que s’il était élu président, il ne pousserait pas pour que l’Ukraine rentre dans l’Otan. Encore une fois, on regarde un petit peu à l’Ouest, mais on négocie aussi avec la Russie pour ne pas froisser Moscou sur les conditions sécuritaires, sur la question de l’Otan. Finalement, on retrouve un peu cette position d’équilibre que l’ancien président Ianoukovitch jouait. De là à dire qu’on retourne au statu quo d’avant, pas forcément. Mais en tout cas, on se rapproche plutôt vers une continuité que de changements réels.
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Est-ce qu’à Kiev, on commente ces premières déclarations, ces premières prises de position de l’homme qui a été élu dimanche ?
A Kiev, on attend surtout des réformes au niveau économique. On attend beaucoup du nouveau président sur la stabilisation économique du pays. C’est la première chose en tout cas à Kiev qu’on perçoit et puis, bien évidemment récupérer si l’on peut les régions de l’Est. La Crimée, on sent bien que c’est une région qui est un petit peu perdue et j’ai malheureusement peur que les Ukrainiens se fassent une raison sur la perte de la Crimée. Donc avant tout l’économie et ensuite on avise.
C'est exactement un message en ce sens qui a été hier adressé à Kiev par Bruxelles pour justement lancer au plus vite les réformes économiques ?
C’est tout le problème. Les réformes économiques sont nécessaires, primordiales pour sauver l’Ukraine qui est en quasi défaut de paiement permanent, on fait juste en sorte que le pays continue à survivre. Entre les conditions d’austérité prononcées par le Fonds monétaire international, la conditionnalité du Fonds monétaire international et la signature éventuelle de l’accord d’association, le volet économique avec l’Union européenne, l’Ukraine a beaucoup de choses à revoir en termes de réforme économique. Le problème, c’est que ces réformes vont être dures, risquent d’impacter très fortement les Ukrainiens. On parle déjà de rumeurs de mouvements sociaux qui pourraient, dès la rentrée en septembre, arriver si jamais les conditions d’austérité sont trop dures. Le gouvernement « kamikaze » de Iatseniouk ne va pas beaucoup changer. On parlerait en fait d’un pare-feu. Iatseniouk pourrait sauter si jamais il y avait trop de mécontentements et ensuite former un gouvernement qui serait réellement plus représentatif d’une nouvelle équipe politique actuelle.