Fusillade mortelle: le maire autoproclamé de Slaviansk implore Poutine

Après la fusillade meurtrière survenue la nuit dernière à l'ouest de la ville de Slaviansk, dans l'est de l'Ukraine, les insurgés pro-russes pointent du doigt le groupe radical ukrainien Pravy Sektor. Mais le plus grand flou entoure les faits. Viatcheslav Ponomarev, maire autoproclamé de Slaviansk, qui a décrété le couvre-feu, a demandé ce dimanche 20 avril à Vladimir Poutine de lui envoyer des renforts, ou au moins des armes.

Avec nos envoyés spéciaux sur les lieux de la fusillade, Anastasia Becchio  et  Boris Vichith

A Bilbasivka, dans ce village près de Slaviansk, la place forte des séparatistes pro-russes, les bilans humains communiqués suite à la fusillade de la nuit dernière ne cessent de varier selon les sources interrogées. Dimanche soir 20 avril, ils différaient encore. Selon les insurgés, six personnes ont été tuées : trois hommes qui montaient la garde au barrage routier du village, et trois assaillants, dont l’un des cadavres serait aux mains des pro-russes. Information impossible à vérifier : devant la morgue, des hommes armés dissuadent quiconque de s’approcher du bâtiment. Ils le font d'une façon très convaincante, en pointant un fusil automatique sur leurs interlocuteurs. Des témoins n'ont pu voir que deux corps sans vie sur les lieux de l'attaque.

Que s'est-il passé ? Attaque de groupes radicaux ultranationalistes ukrainiens, manipulation des pro-russes ou simple bagarre ? Les deux véhicules calcinés et les quelques douilles de gros calibres montrées aux médias ne permettent pas de le dire. Dans la nuit, « quatre voitures sont arrivées près de notre barrage vers une heure du matin. Nous avons voulu les contrôler, ils ont alors ouvert le feu sur nous à l'arme automatique », a déclaré à l'Agence France-Presse un militant pro-russe encagoulé. Les gardiens de la barricade n'avaient pas que des bâtons pour se défendre, racontent quelques locaux rencontrés sur place.

La suite des événements n'est pas très claire. Des militants armés pro-russes, qui effectuaient une patrouille non loin, seraient arrivés deux minutes après le début de l'attaque, raconte Micha, un jeune homme avec une capuche noire sur la tête. Avec des sanglots dans la voix, il ajoute qu'il a perdu trois amis. « On a réussi à leur prendre leurs armes », raconte un autre homme, qui certifie que les assaillants ont subi des pertes mais qu'ils ont chargé les corps dans deux véhicules avant de s'enfuir.

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Les questions restent donc, pour l'heure, plus nombreuses que les réponses. Dans l’esprit des villageois de Bilbasivka, le doute n’est cependant pas permis : l'attaque survenue à l'entrée de leur village est l’œuvre du Pravy Sektor, un groupe radical nationaliste d'Ukraine, qui avait été très actif dans le mouvement de contestation de Kiev, et qui est devenu depuis lors l’ennemi réel ou supposé des insurgés pro-russes de l'est du pays.

Une carte de visite et des dollars

Parmi les preuves exhibées par les représentants pro-russes à Slaviansk et par le maire autoproclamé, une carte de visite rouge et noire présentée au nom du leader de ce mouvement et des dollars qui seraient par chance sortis intacts des véhicules entièrement calcinés des soi-disant assaillants.

Les représentants du Pravy Sektor ont de leur côté démenti toute implication et parlent de provocation. Mais pas de quoi arrêter Viatcheslav Ponomarev, le nouveau maître des lieux à Slaviansk, qui a donné une conférence de presse dans la journée pour appeler le président russe à franchir le pas d'une intervention, directe ou indirecte, en Ukraine.

Cela s'est passé à quelques kilomètres de Bilbasivka, dans le bâtiment de l’administration locale de Slaviansk, entièrement barricadé et grillagé, tenu par des hommes lourdement armés. Le maire autoproclamé de la ville est apparu avec une casquette noire vissée sur la tête et a lancé devant l'assistance un appel direct à Vladimir Poutine : « Nous vous demandons d'étudier au plus vite la possibilité d'envoyer des forces de maintien de la paix pour défendre la population contre les fascistes », a-t-il dit. Au cas où cette option ne serait pas envisageable, « livrez-nous des armes », a-t-il imploré. Contrôlant entièrement la cité depuis une semaine, M. Ponomarev a pris l'initiative, ce dimanche, d'imposer un couvre-feu à Slaviansk.

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Faut-il attendre une hypothétique réponse du Kremlin à l'appel du maire de Slaviansk ? Peu probable par la voie officielle. Mais en tout cas, Moscou a vivement réagi après la fusillade, faisant part de son « indignation ». « La Russie est indignée par cette provocation qui témoigne de l'absence de bonne volonté des autorités de Kiev pour désarmer les nationalistes et les extrémistes », a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères, pour qui la mort de « civils innocents » doit être imputée aux paramilitaires de Pravy Sektor. Mais selon les cadres de ce groupe, « la propagande russe » est néanmoins « pire que celle de l'Allemagne nazie ».

Le ministre ukrainien de l'Intérieur, Arsen Avakov, s'est rendu à l'est du pays, dans la région de Dnipropetrovsk, pour inspecter les troupes de Kiev face au risque d'escalade. Il n'est cependant pas allé jusqu'à la région du Dombass. M. Ponomarev a menacé de lui faire « tirer dessus » s'il s'y aventure.

Journaliste détenue

Pendant ce temps, la guerre de l’information se poursuit. Les forces pro-russes de Slaviansk détiennent depuis dimanche soir une journaliste ukrainienne qu’il présente comme une dangereuse militante du mouvement EuroMaidan.


■ Vu des Etats-Unis: bataille diplomatique sur les chaînes américaines

L’Ukraine a été l’un des sujets discutés dans les émissions politiques du dimanche matin aux Etats-Unis. Le premier ministre ukrainien et l’ambassadeur de Russie à Washington y ont croisé le fer par chaînes télévisées interposées.

Avec notre correspondant à Washington, Jean-Louis Pourtet

Le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk a mis en garde le monde contre les intentions de Vladimir Poutine, qu’il accuse de « saper la stabilité internationale ». Interrogé par la chaîne de télévision NBC, il a assuré que « toute idée de la Russie à propos d’une fédéralisation ou d’une autonomie de l’est de l’Ukraine ne vise qu’un seul objectif: éliminer l’indépendance ukrainienne ». Le premier ministre ukrainien a demandé le soutien occidental tant dans les domaines économique et financier que militaire pour faire face au président Poutine qui « rêve de restaurer l’Union soviétique ».

« Nous n’allons nulle part. Nous voulons avoir un voisin qui est un ami, car en Ukraine, en dépit de ce qui se passe, l’Ukrainien est notre frère. Je suis moi-même Ukrainien… ethniquement », a pour sa part déclaré l’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, Serguei Kisliak, sur une autre chaîne américaine, Fox News. Il a par ailleurs assuré que la Russie n’avait aucune visée expansionniste et aucun désir d’envahir l’est de l’Ukraine.

Le sénateur républicain Bob Corker, membre de la commission des affaires étrangères, ne croit guère pas, pour sa part, à ces propos fraternels de l’ambassadeur russe. Il a dit craindre une intervention de la Russie si les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux ne réagissent pas plus énergiquement en armant les Ukrainiens et en renforçant les sanctions contre Moscou.

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