«Vladimir Poutine veut rendre l'Ukraine ingouvernable»

Lors du référendum en Crimée le 11 mars dernier, la population de la péninsule s'est prononcée pour le rattachement à Moscou. Un scénario bien orchestré par Vladimir Poutine et qui pourrait s’étendre aux régions de l’est ukrainien. C'est l'analyse de Marie Mendras, chercheur au CNRS et au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po.

RFI : Donetsk, Kharkiv, Louhansk. Depuis plusieurs jours, dans les grandes villes de l’est de l’Ukraine, les séparatistes s’activent. Ils prennent d’assaut des bâtiments administratifs. C’est ce qui s’était passé à Simféropol. A Donetsk, les militants ont proclamé une « république souveraine » et décidé d’organiser un référendum. Le bis repetita est-il possible ?

Marie Mendras : Il faut d’abord dire que tous ceux-là ne sont pas des séparatistes ukrainiens. Tout cela est organisé par Moscou. Donc, comme en Crimée. Sauf qu’en Crimée les militaires russes étaient déjà sur place puisque la Crimée a des bases militaires russes depuis très longtemps. Donc, on n’est pas là face à la population de Donetsk qui serait contre Kiev. On parle de quelques dizaines d’individus et pour certains très certainement des troupes d’élite venues de Russie, qui ont pris de manière totalement illégale des bâtiments administratifs.

Selon vous, c'est donc la suite du scénario qu’a prévu Vladimir Poutine pour l’Ukraine ?

Le scénario de Vladimir Poutine est simple : c’est de rendre l’Ukraine ingouvernable. C'est-à-dire de semer le conflit à l’intérieur du pays, de faire de la subversion à la fois par l’utilisation d’hommes en armes, souvent cagoulés, et dont il ne reconnaît pas que ce sont des militaires ou des troupes d’élite russes. Et aussi de la subversion économique en empêchant l’Ukraine de fonctionner normalement économiquement, puisque le prix du gaz naturel a été augmenté de 80 % et que donc les Ukrainiens ne peuvent plus payer leur note de gaz.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Poutine ne va pas lancer une guerre classique en Ukraine parce qu’il sait qu’immédiatement il aura une riposte, à la fois de l’armée ukrainienne, mais aussi avec le soutien de l’Otan, puisqu’il sera en violation du droit international et d’un certain nombre de documents que la Russie a signés avec nous pour sécuriser l’Ukraine dans les années 1990. Donc, le danger pour les Ukrainiens ce n’est pas une invasion par l’armée régulière russe, mais c’est la subversion pour semer le trouble et faire que l’élection présidentielle du 25 mai en Ukraine se déroule dans de mauvaises conditions et que la légitimité du nouveau président élu ukrainien soit faible.

Le fait que Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, ait appelé ce matin à des pourparlers avec tous les acteurs, selon vous, c’est donc une simple déclaration d’intention pour calmer les choses ?

Il ne faut surtout pas accepter ce que propose Sergueï Lavrov qui est tout aussi dur que Vladimir Poutine. Puisque lui, il ne veut pas discuter avec le gouvernement de Kiev seul, mais avec le gouvernement de Kiev et des soi-disant représentants des provinces de l’Est. Ce serait accepter que l’Ukraine n’est plus un pays souverain et qu’il est éclaté en provinces. Donc, il est évident que la proposition de Lavrov est inacceptable. Et la position européenne, la position de l’Otan, c’est bien entendu que Kiev est toujours la capitale de l’ensemble de l’Ukraine.

L’Otan appelle aujourd’hui la Russie à faire reculer ses troupes massées à la frontière ukrainienne. Là encore, c’est un discours que l’on a déjà entendu de la communauté internationale, qui finalement reste toujours impuissante.

Impuissante, je ne sais pas. Pour le moment, nous avons quand même été capables d’exprimer très clairement à la Russie que nous n’acceptions pas l’annexion de la Crimée. Donc, la communauté internationale n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée et, au contraire, je pense que nous sommes capables de faire reculer les troupes russes de la frontière.

Par quels moyens alors ?

Mais je crois que le seul moyen c’est de soutenir à fond l’Ukraine et de contrer la propagande russe.

De manière économique aussi ?

De manière économique c’est une évidence ! Puisque les Russes sont en train d’essayer d’enfoncer l’économie ukrainienne, donc il n’y a aucun doute qu’en ce moment nous devons apporter le maximum de coopération économique à l’Ukraine et contrer la propagande russe. Et bien dire que ce qui se passe à Donetsk, Kharkiv et dans d’autres villes de l’est de l’Ukraine, ce sont des actions commanditées par Moscou et ce n’est pas l’expression libre de la population.

Marie Mendras a publié L'envers du pouvoir, 2008, aux éditions Odile Jacob.

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