Art spolié: accord entre Cornelius Gurlitt et Berlin

L’affaire défraie la chronique depuis l’automne dernier, depuis que la presse allemande a révélé que la justice bavaroise avait saisi des centaines d’œuvres d’art de l’octogénaire Cornelius Gurlitt. Une partie pourrait avoir été spoliée à leurs propriétaires juifs de l’époque. Mais le parquet de Munich vient de lever ce 9 avril la saisie des 1 200 œuvres d'art du collectionneur.

Cette affaire spectaculaire avait commencé il y a deux ans lorsque Cornelius Gurlitt de retour de Suisse avec plusieurs milliers d’euros sur lui avait été interrogé par les fonctionnaires des douanes. Environ 1 300 œuvres d’art héritées de son père avaient ensuite été saisies dans l’appartement de Munich du vieil homme. Hildebrand Gurlitt, fin connaisseur d’art et admirateur des artistes les plus modernes de l’entre-deux-guerres, avait été d’abord mis sur la touche par les nazis qui jugeaient cet art « dégénéré ». Par la suite, Gurlitt était devenu l’un des quatre marchands d’art autorisés à acheter ou à revendre les tableaux de ces artistes dont les nazis voulaient se débarrasser.

Les dignitaires du IIIe Reich ont épuré d’un côté les musées publics. Environ 20 000 œuvres ont été détruites ou bien vendues. Le régime propriétaire était dans son droit. Hildebrand Gurlitt possédait sans doute nombre de ces œuvres. La polémique actuelle se concentre sur les œuvres spoliées à leurs propriétaires privés, souvent juifs. Ils ont dû avant de s’exiler les vendre à un prix bien en dessous de celui du marché ou sous la contrainte ou n’ont jamais été payés. D’autres œuvres ont été purement et simplement volées.

Dans une déclaration dite de Washington datant de 1998, 44 Etats s’étaient engagés à passer au crible les collections de leurs musées publics et à restituer les œuvres spoliées sous le nazisme aux ayants droits. Pour celles aux mains de personnes privées, toute restitution était impossible en raison de l’existence d’un délai de prescription de trente ans.

La recherche des ayants droits peut donner lieu à des surprises

L’accord intervenu lundi entre les avocats de Cornelius Gurlitt, l’Etat fédéral et la région de Bavière, rompt avec cette impunité des détenteurs privés de tableaux spoliés sous le nazisme. Le collectionneur accepte que des experts se penchent durant un an sur les œuvres litigieuses. Celles pour lesquelles il aura été prouvé que leurs propriétaires ont été spoliés sous le IIIe Reich seront restituées. Passé le délai d’un an, Cornelius Gurlitt restera le légitime propriétaire de tous les tableaux pour lesquels aucun soupçon n’aura pu être émis.

Le journaliste Stefan Koldehoff, spécialiste du sujet et auteur du livre Les tableaux sont parmi nous salue l’accord intervenu lundi : « Gurlitt accepte sans y être juridiquement obligé la déclaration de Washington. Les origines d’environ 500 œuvres seront examinées, ce que beaucoup d’institutions publiques ne font pas ». L’expert regrette que depuis la déclaration de Washington de 1998, les efforts des musées allemands aient été trop modestes. « La prise de conscience du problème n’existait pas, analyse Stefan Koldehoff. Et puis les moyens humains et financiers manquent souvent ».

Mais ces vérifications sont très complexes. Et même lorsqu’une spoliation est prouvée, la recherche des ayants droits, 70 ans plus tard, peut se révéler difficile ou donner lieu à des surprises. L’exemple de la toile de Matisse Femme assise appartenant à la collection Gurlitt en constitue un exemple. Le tableau propriété du marchand d’art juif Paul Rosenberg avait été abandonné comme d’autres par ce dernier lorsqu’il avait dû quitter la France devant l’avancée des troupes allemandes en 1940. L’œuvre était en passe d’être restituée aux petites-filles, la journaliste française Anne Sinclair et Marianne Rosenberg. Mais une troisième personne a fait connaître ses prétentions. La restitution a été stoppée.

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