Crimée: bras de fer tendu entre Kiev et les sécessionnistes

Après l’adoption d’une « déclaration d’indépendance » par le Parlement régional de Crimée, ce mardi 11 mars, les autorités séparatistes soutenues par Moscou ont fermé l’espace aérien de la presqu’île. Le Parlement de Kiev a lancé un ultimatum, menaçant de dissoudre l’Assemblée de Crimée si elle n’annule pas son référendum d’ici mercredi.

Tout est désormais pratiquement prêt pour une éventuelle sécession rapide de la Crimée. Alors que la question doit être posée à la population de la presqu'île ce dimanche, le Parlement régional vient de proclamer son indépendance, ce mardi 11 mars. « La République de Crimée sera un Etat démocratique, laïque et multinational, qui s'engagera à maintenir la paix, l'entente interethnique et interconfessionnelle sur son territoire », peut-on lire dans cette déclaration votée par 78 des 81 députés du Parlement régional.

Contourner l'opposition de Kiev au référendum

Les autorités ukrainiennes affirment depuis le début de la crise en Crimée que le Parlement local n’a pas le droit d’organiser un référendum sur l’avenir de la péninsule. L’explication juridique avancée sur place est le souhait de se présenter comme une entité déjà détachée de l’Ukraine au moment du référendum. En effet, toute région appartenant au pays et qui désire s’en séparer doit, selon la Constitution ukrainienne, demander un référendum à l’échelle nationale, et non uniquement à l’échelle de son propre territoire.

C’est pour contourner cet obstacle juridique que les députés du Parlement de Simferopol ont voté cette déclaration d’indépendance, précise notre envoyé spécial à Sébastopol, Daniel Vallot. « Avec ce texte, nous nous donnons les moyens juridiques d’organiser le scrutin du 16 mars », a déclaré, à l’issue du vote, le porte-parole du Parlement. « Nous nous donnons également le droit de nous rattacher à la Fédération de Russie ».

Parallèlement, un vote similaire devait avoir lieu au Conseil de la ville de Sébastopol, celle-ci ayant un statut à part en Crimée. La ville est un bastion du camp pro-russe, où les habitants se disent à 100% derrière le projet de rattachement à la Russie. Pour donner davantage de poids à leur déclaration, les députés invoquent la Charte des Nations unies sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils s’appuient également sur un avis de la Cour internationale de justice de 2010 portant sur l’indépendance du Kosovo.

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Moscou a immédiatement apporté son soutien à cette déclaration d’indépendance : le ministère russe des Affaires étrangères « considère la décision du Parlement de Crimée absolument légale ». Dans son communiqué, la diplomatie russe s’appuie, elle aussi, sur le précédent du Kosovo, rapporte Murielle Pomponne, correspondante de RFI à Moscou. A l’époque, l’ONU et plusieurs pays occidentaux avaient estimé « qu'une déclaration unilatérale d'indépendance d'une partie d'un Etat ne violait aucune norme du droit international ». « La Fédération de Russie respectera les résultats de l'expression libre de la volonté des peuples de Crimée au cours du référendum », ajoute le ministère, qui précise que des observateurs, notamment ceux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), y étaient invités.

Sergueï Lavrov a réaffirmé ce point de vue à son homologue américain au cours d’une conversation téléphonique. Le chef de la diplomatie russe a insisté sur la nécessité de trouver une solution à la crise ukrainienne qui prenne en compte les intérêts de toutes les communautés, dans toutes les régions. Les deux hommes, ajoute le communiqué du ministère russe, ont discuté des « propositions concrètes » de Moscou et Washington visant à assurer « la paix » en Ukraine.

Contrôle russe

Sergueï Axionov, le « Premier ministre » de Crimée, s’est aussi autoproclamé « chef des armées ». Les forces russes contrôlent désormais les points stratégiques de la péninsule. Même les chaînes de télévision ukrainiennes ont déjà été remplacées par les chaînes russes.

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Ce mardi, pour la deuxième fois en dix jours, l'espace aérien de Crimée est de plus fermé à tous vols commerciaux, comme a pu le constater notre correspondant en Ukraine, Sébastien Gobert. Il semble désormais clair que le gouvernement séparatiste de Crimée n'a guère envie que des observateurs internationaux ou des journalistes viennent s'intéresser à ce scrutin de dimanche, dont la légalité et la légitimité sont très contestées. Les députés de la Rada, le Parlement national ukrainien, ont ainsi lancé un ultimatum au Parlement régional de Crimée, le menaçant de dissoudre l'Assemblée si la consultation était maintenue.

Ianoukovitch veut rentrer à Kiev

Par ailleurs, l'ancien président Viktor Ianoukovitch a tenu une conférence de presse ce mardi, depuis la ville russe où il s'est exilé. Il a annoncé qu'il serait de retour à Kiev dans un avenir proche. Tous les scénarios sont donc possibles, et il est probable que les événements s'accélèrent. Mais entre le gouvernement séparatiste de Crimée, les milices pro-russes, les soldats russes, le Parlement russe à Moscou et Viktor Ianoukovitch, il est encore difficile de dire si ces développements sont le fait d'une manœuvre coordonnée, ou des actions disparates d'acteurs isolés.

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