Les nouveaux dirigeants ukrainiens mettent en garde Moscou

Le pro-européen Arseni Iatseniouk a pris les rênes d'une Ukraine au bord du gouffre, menacée de banqueroute et en plein bras de fer avec la Russie autour de la région autonome russophone de Crimée, où stationne la flotte russe de la mer Noire et qui exige plus d' « autonomie ».

Au lendemain de la prise du Parlement de Crimée par un commando qui a hissé un drapeau russe sur le toit du bâtiment, la situation est encore un peu plus confuse dans cette région du sud de l'Ukraine. Cette nuit, une dizaine d'hommes armés, en uniforme, ont pénétré dans l'aéroport de Simferopol où ils patrouillent actuellement. « L'aéroport fonctionne normalement », a déclaré un responsable administratif.

Voilà qui risque d'accroître l'inquiétude des nouveaux dirigeants ukrainiens. Hier, jeudi 27 février, les députés de la Rada, le Parlement ukrainien, n'ont pas caché leur crainte sur les risques d'une partition du pays, a constaté notre envoyée spéciale à Kiev, Anastasia Becchio. En ouvrant les débats, le président du Parlement, par ailleurs chef de l’Etat par intérim, a adressé des mises en gardes aux autorités russes. « Je lance un appel au commandement militaire de la flotte russe en mer Noire qui stationne sur le territoire ukrainien : tous les militaires doivent rester sur le territoire prévu par les accords. Tout mouvement de troupe armé sera considéré comme une agression militaire », a prévenu Olexandre Tourtchinov.

Le ministre ukrainien de l'Intérieur par intérim, Arsen Avakov, a accusé ce vendredi les forces russes « d'invasion armée et d'occupation » après la prise de contrôle dans la nuit de l'aéroport.

Risque de scission

Le risque de scission du pays est bien réel, a tenu à souligner le nouveau Premier ministre Arseni Iatseniouk dans son discours devant le Parlement : « Des processus extrêmement complexes se déroulent en ce moment en Ukraine. Nous voyons en particulier des menaces à l’intégrité territoriale et à l’unité du pays. On assiste aujourd’hui à des manifestations de séparatisme en Crimée.» De la tribune du Parlement, le député nationaliste Oleg Tiagnibok a pour sa part dénoncé une provocation de la part de Moscou : « Le Kremlin veut détruire l'intégrité territoriale de l'Ukraine », dit-il, accusant la Russie de mener une guerre médiatique, en présentant les événements de manière mensongère.

L'annonce par le Parlement de Crimée d'un référendum pour plus d'autonomie le 25 mai sera-t-elle de nature à calmer les esprits ou à l’inverse va-t-elle envenimer les choses ? A Kiev, un membre de la commission centrale électorale affirme d’ores et déjà que cette consultation n’aura aucune valeur juridique. Signe de l’inquiétude que suscite la situation dans le sud russophone du pays, le chef du gouvernement a annulé sa première conférence de presse, pour tenir à la place une réunion avec son Conseil de défense et de sécurité.

Inquiétudes diplomatiques

L’attitude de Vladimir Poutine ne fait rien pour apaiser la situation. Le président russe multiplie les intimidations en ordonnant des manœuvres militaires dans la région, tout en assurant que ces exercices n'ont rien à voir avec la situation en Ukraine. Il s'agit là d'un « jeu dangereux », selon Varsovie.

Après une réunion prévue de longue date entre les alliés et le représentant de l’Ukraine auprès de l’Otan, le secrétaire général de l’alliance atlantique, Anders Fogh Rasmussen, s’est également dit extrêmement inquiet au sujet des événements de Crimée. Il a estimé « dangereuse et irresponsable » l’occupation du gouvernement et du Parlement par des groupes pro-russes, nous rapporte notre correspondant à Bruxelles, Pierre Benazet. Dans une déclaration commune, les ministres de la Défense des 28 pays de l’Otan avaient auparavant exprimé leur soutien à la souveraineté, l’indépendance et la stabilité de l’Ukraine, avec laquelle l’alliance atlantique a mis sur pied un partenariat depuis 1997.

Ce message d’avertissement a été relayé par le ministre américain de la Défense. Il a appelé la Russie à ne rien faire qui pourrait être mal interprété. Même son de cloche de la part de Rasmussen qui a exhorté Moscou à éviter l’escalade et les tensions. En revanche, le commandant suprême des forces alliées en Europe a pour sa part cherché à minimiser les tensions éventuelles entre l’Otan et la Russie. Une intervention russe en Crimée n’est pas « sa préoccupation principale ».

En marge de sa visite officielle au Royaume-Uni, la chancelière allemande Angela Merkel, très engagée dans le dossier ukrainien, et son hôte David Cameron, ont également rappelé l'importance du respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Ukraine.

Double jeu de la Russie ?

Le secrétaire d’État américain John Kerry a de son côté annoncé s'être entretenu avec son homologue russe Sergueï Lavrov qui l'aurait assuré que la Russie respecterait l'intégrité territoriale de son voisin et les accords signés sur sa flotte en mer Noire. « Le ministre Lavrov a affirmé que les exercices militaires qui ont eu lieu n’étaient pas lié à l’Ukraine et avaient été prévus avant. Plus important, il a réaffirmé la déclaration du président Poutine de respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Nous voulons voir dans les jours à venir la Russie se conformer à la garantie qu’elle vient de nous donner », a déclaré John Kerry.

Mais pour Igor Semivolos, spécialiste de la Crimée à l’académie des sciences d’Ukraine, la Russie joue un double jeu :

« La Russie s’efforce de ne pas prendre part de manière directe à tous ces événements, de ne pas apparaître comme engagée. Tout ce qui se produit en ce moment est présenté comme étant l’œuvre de groupes nationalistes russes de Crimée. Mais il est évident que les hommes qui ont pris le Parlement sont venus de Sébastopol avec des armes. Or ces armes ne trainent pas comme ça dans la rue.

C’est pourquoi on peut émettre l’hypothèse que la Russie est impliquée directement dans ce conflit et qu’elle s’efforce d’utiliser de telles méthodes pour gagner des points et pour ensuite apparaitre comme un arbitre. Bien sûr, la Russie ne fera pas de déclaration officielle pour appeler à une sécession de la Crimée, mais elle va tenter de faire en sorte que la situation y devienne incontrôlable, ce qui l’obligera à un moment donné à intervenir, sous prétexte de défendre les intérêts de ses concitoyens. »

Partager :