RFI : Historiquement, qu’est-ce que la Crimée ?
Laurent Chamontin : La Crimée ne fait partie de l’Ukraine que depuis 1954. Elle a été transférée, à l’époque, à l’intérieur de l’URSS par Khrouchtchev, de la Russie à l’Ukraine. Historiquement, la Crimée est restée très longtemps sous influence turque jusqu’à la conquête par Catherine II en 1787.
Elle ne fait donc pas « beaucoup » partie de l’Ukraine. C'est-à-dire qu’il y a eu un peuplement Tatar d’origine turque. Et puis elle a été beaucoup peuplée par les Russes et elle est entrée dans l’orbite ukrainienne très tardivement, avec une assez faible attache linguistique.
Ce qui explique aujourd’hui qu’elle est la plus mobilisée pour s’opposer à un nouveau pouvoir à Kiev ?
En attente de voir ce qu’il y a derrière cette prise de contrôle du Parlement, c’est clairement pour l’Ukraine une zone qui est plus fragile que les autres. Et l’autre point qu’il faut avoir à l’esprit c’est que la Crimée est effectivement un point important sur le plan stratégique pour la Russie…
Stratégie militaire…
Tout à fait. Il y a une base maritime à Sébastopol. C’est clair que c’est pour le moment un point faible de l’Ukraine sur lequel peut-être la Russie peut jouer dans les mois qui viennent pour rappeler qu’elle est là. Mais d’un autre côté, il faut quand même pour le moment raison garder. La Russie a reconnu l’Ukraine et ses frontières comme un pays indépendant il y a déjà plus de vingt ans. Donc il ne faut pas aller trop vite en mettant en avant la possible implication de la Russie dans tout ça. Il ne faut pas se précipiter.
Certains évoquent un scénario similaire à celui de la Géorgie. Ce n’est pas votre sentiment ?
Ça dépendra de ce qui se passera. En Ukraine, on commencera à voir plus clair à partir du 25 mai, à partir de la présidentielle. Il est clair que la Russie a des intérêts stratégiques, économiques, financiers, très importants en Ukraine. Elle est particulièrement inquiète par rapport aux conséquences que la crise ukrainienne peut avoir sur le plan intérieur en Russie, parce que les manifestants ukrainiens peuvent aussi donner des idées à un certain nombre de citoyens russes.
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On se trouve ainsi dans une phase où la Russie fait sans doute ce qu’il faut pour prendre des gages et montrer qu’elle est là. Rappeler qu’elle est là à ceux qui seraient tentés de l’oublier. Est-ce qu’il sera possible de la maintenir sous contrôle et de lui faire accepter une voie relativement pacifique ? C’est ce que les Ukrainiens et les Occidentaux devront s’attacher à faire dans les prochaines semaines.
Economiquement, que représente cette partie de l’Ukraine ? Est-ce que l’on peut parler de force économique de la Crimée ?
Le coeur économique de l’Ukraine ce n’est pas la Crimée, c’est l’Est (dans la sidérurgie, la métallurgie, etc.). La Crimée est plus un enjeu de nature stratégique via le détroit de Kertch comme la mer d’Azov et puis la base de Sébastopol.
Depuis de nombreuses années les séparatistes réclament un référendum sur le statut de la Crimée. Est-ce envisageable, selon vous ?
A mon avis, un gouvernement ukrainien dans les conditions qui sont les siennes actuellement ne devrait pas accorder beaucoup d’attention à ce sujet-là. Il a déjà bien assez de problèmes comme ça.
Quel poids peuvent encore avoir l’Union européenne et les Etats-Unis dans le scénario qui semble se dessiner ?
Il faut continuer. Le rapport peut être tout à fait décisif pour stabiliser la situation avec la Russie. Il faut noter que, dimanche dernier, Angela Merkel a fait une déclaration commune avec Vladimir Poutine en faveur de l’unité de l’Ukraine, ce qui doit être gardé à l’esprit actuellement. Il faut continuer à travailler avec la Russie pour, encore une fois, arriver à l’associer au futur développement en Ukraine de manière pacifique, sachant qu’évidemment la Russie voit ce qui vient de se passer en Ukraine comme un recul. C’est clairement une situation diplomatique assez compliquée.
Et le fait qu’a priori elle ait accepté d’accueillir Viktor Ianoukovitch, en tout cas d’assurer sa sécurité sur son territoire, est-ce un pas de plus en avant ?
Oui. C’est cohérent avec le reste.
*« L’Empire sans limites, pouvoir et société dans le monde russe », Laurent Chamontin. Editions de l’Aube, 2014.