Un groupe armé occupe le Parlement de Crimée

Plusieurs dizaines d'hommes armés se sont emparés ce jeudi 27 février du siège du Parlement et du gouvernement en Crimée, péninsule russophone du sud de l'Ukraine, sur lesquels flotte désormais le drapeau russe. A Kiev, le nouveau pouvoir ukrainien est inquiet d'une possible réaction militaire russe.

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Qui sont ces personnes qui se sont emparées du siège du Parlement et du gouvernement en Crimée ? On ne le sait pas vraiment. Il n’y a pas encore de revendication ni de noms. Seule certitude, elles sont une cinquantaine et se sont emparées des lieux à 5h50, heure locale, avant de dresser un drapeau russe au sommet du bâtiment du Parlement, nous rapporte notre envoyé spécial à Simféropol, Sébastien Gobert.

Le ministre ukrainien de l'Intérieur a annoncé la mise en alerte de l'ensemble de la police et des forces spéciales. Une enquête pour « terrorisme » en Crimée a été ouverte par le parquet général ukrainien. Sur place, à Simféropol, les forces de l'ordre ont encerclé le quartier du Parlement et des policiers non armés ont fait reculer la foule de curieux, surtout des pro-russes. Une équipe de journalistes russes est entrée dans le bâtiment du Parlement pour tenter de dialoguer avec les assaillants. Ils ont apparemment eu juste eu le temps de s’apercevoir qu’ils avaient des armes automatiques avec eux, avant d'être repoussés avec des grenades lacrymogènes.

Le Premier ministre de la république autonome de Crimée, Anatoli Moghiliov, a appelé la population au calme. « Il faut éviter les rassemblements de masse, a-t-il dit, il y a des pourparlers en cours, il faut que tout soit réglé pacifiquement, par des négociations ». Accompagné d'une quinzaine de députés, le Premier ministre a pu pour sa part pénétrer à l'intérieur du Parlement, où il a discuté avec les membres du commando. « Ils sont une cinquantaine, ils se sont comportés de manière correcte avec nous, mais ils sont armés », a raconté Anatoli Moghiliov.

« L'intégrité territoriale est menacée »

Ce jeudi matin, le ministère russe des Affaires étrangères a promis que la Russie défendra les droits de ses ressortissants et se montrera intransigeante face à d'éventuelles violations des droits de l’homme. Des avions de chasse russes ont été placés en état d'alerte à la frontière occidentale de la Fédération, selon l'agence de presse Interfax.

A Kiev, le nouveau pouvoir ukrainien est inquiet d'une possible réaction des militaires russes, notamment ceux appartenant à la flotte de la mer Noire, stationnée pas loin de Simféropol. Le président par intérim Olexandre Tourtchinov a lancé une mise en garde à Moscou, et le ministre des Affaires étrangères a demandé des explications au représentant russe à Kiev. Selon Olexandre Tourtchinov, tout mouvement de troupes russes en Crimée, hors de la base de la flotte de la mer Noire située à Sébastopol, serait considéré comme un acte d'agression.

Cet incident à Simféropol intervient alors que le Parlement vient d'approuver le gouvernement présenté mercredi. C'est le député et meneur de l'opposition Arséni Iatséniuk qui a été désigné comme Premier ministre jusqu’aux élections du 25 mai. Comme le rapporte notre envoyée spéciale à Kiev, Anastasia Becchio, il n'a pas caché son inquiétude : « L'intégrité territoriale est menacée, on assiste à des manifestations de séparatisme en Crimée », a-t-il dit depuis la tribune du Parlement, à Kiev, prévenant qu’il ne laisserait pas la place à une ingérence étrangère dans cette péninsule russophone du sud du pays, où stationne la flotte russe de la mer Noire. « Je dis aux Russes, ne nous affrontez pas, nous sommes des amis et des partenaires », a aussi dit Arséni Iatseniuk.

« Les comptes publics sont vides, tout a été volé »

Dans le même souci de faire baisser la tension, il a promis de défendre les droits des minorités ethniques et souligné que la langue russe était inscrite dans la Constitution ukrainienne. Dans son discours qui a duré un peu plus de 20 minutes, le chef du gouvernement de transition a brossé un tableau noir de la situation économique : « les comptes publics sont vides, tout a été volé ». Iatséniuk a expliqué que le dette publique est de 75 milliards de dollars maintenant. En 2010, quand Ianoukovitch est arrivé au pouvoir, elle était « deux fois moins importante », selon lui.

Le président par intérim avait prévenu dès hier sur la place de l’Indépendance que le nouveau gouvernement devrait prendre des décisions difficiles. Arséni Iatséniuk a même enfoncé le clou, entre chômage galopant et fuite des investissements : « Je ne promets pas d'amélioration, ni aujourd'hui ni demain. Nous n'avons pas d'autre solution que de prendre des mesures impopulaires, dont la réduction des programmes sociaux et des subventions, la réduction des dépenses budgétaires ». Après les discours enflammés de la révolution, l'heure est maintenant au réalisme.

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Des tensions déjà la veille

Mercredi 26 février déjà, des échauffourées avaient déjà eu lieu entre des partisans du rattachement à la Russie et des groupes qui voulaient rester loyaux à l’Ukraine. C’était aussi aux abords du Parlement régional de Crimée. Ils étaient plusieurs milliers à se faire face dans le centre de Simféropol. Pour Enver, un jeune manifestant, la révolution a été bien lointaine. Mais il s'inquiète que le vide du pouvoir à Kiev a réveillé des tensions bien plus profondes en Crimée.

« Les gouvernements sont toujours mauvais par nature, juge-t-il. Celui-là devait partir, et c'est fait. Mais maintenant, ces Russes veulent créer des troubles et faire sécession, mais il faut faire respecter la loi ». Lui appartient à la communauté tatare, musulmane, malmenée par les tsars russes et les Soviétiques. Un drapeau ukrainien à la main, il revendique son appartenance à une Ukraine unitaire comme garantie des droits linguistiques et culturels de sa communauté.

En face, un autre groupe de manifestants s'est mobilisé pour les droits des Russes ethniques et a appelé à l'union avec la Russie. Olga Ivanovna, convaincue que le pouvoir à Kiev est tombé aux mains de mouvances fascistes, ne veut plus vivre en Ukraine. « Non, nous ne voulons pas parler ukrainien. Nous voulons parler notre propre langue. J'habite ici depuis 58 ans et je veux parler ma langue. Et être avec la Russie », confie-t-elle.

Après plusieurs heures, le face-à-face a dégénéré. Les deux groupes se sont cantonnés à des insultes, coups de poings, lancers de bouteilles d'eau et de chaussures avant d'être séparés par la police. Mais l' émotion reste vive, et chaque communauté a organisé ses défenses. Sans même que Kiev ou Moscou ne s'impliquent dans les tensions, tout ceci ressemble bien à une bombe à retardement.

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