Ukraine: retour sur 24h d'escalade de la violence

Depuis mardi et le début de l'intervention des forces de l'ordre ukrainiennes à Kiev, près de 100 personnes ont été tuées, dont au moins 67 manifestants de l'opposition pro-européenne. Armés de bâtons, boulons, pavés, mais aussi de cocktails Molotov, des centaines de manifestants radicaux, le plus souvent casqués et équipés de boucliers ont affronté les forces antiémeute qui ont répliqué avec des balles en caoutchouc, des grenades lacrymogènes mais aussi à la Kalachnikov, selon des témoignages.

Le déchaînement de violence a pris tout le monde de cours ici. La nuit avait été relativement calme sur la place de l’Indépendance qui était occupée pour près des deux tiers par les forces de l’ordre. Le président avait annoncé une trêve dans la soirée. Les leaders de l’opposition étaient sortis d’une réunion avec Victor Ianoukovitch en annonçant que la police ne chargerait pas dans la nuit pour déloger les manifestants.

Mais dans la matinée, des centaines de manifestants portant des casques, des boucliers et lançant des cocktails Molotov ont chargé les cordons de police sur la place de l’Indépendance et se sont dirigés vers la rue Institutskaya, qui mène au quartier gouvernemental. Des affrontements violents ont alors éclaté. Des scènes de guérilla urbaine avec des tirs nourris. Des tirs de grenade assourdissante, de grenade lacrymogène mais aussi d’arme automatique.Plusieurs témoins ont rapporté des douilles de fusil Kalachnikov, tirées, selon eux, par des unités spéciales.

La police a utilisé des armes à feu en «légitime défense»

Plus tard dans la journée, le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs reconnu, dans un communiqué, que les policiers antiémeute, les Berkout, avaient utilisé des armes à feu en « légitime défense ». Les forces de l’ordre affirment avoir été visées par un tireur embusqué. Le pouvoir a accusé des manifestants d’avoir fait usage d’armes à feu. En tout cas, des tirs à balles réelles ont bien été effectués en provenance des cordons de police et du haut des immeubles qui entourent le Maïdan, la place de l’Indépendance. Le résultat est un carnage, avec un bilan qui n’a cessé de s’alourdir tout au long de la journée.

Les médecins et les infirmiers ont été pris de cours. Il n’y avait pas de médecin, lorsque le premier blessé par balles a été apporté dans le hall de l’hôtel Ukraine, ce grand hôtel qui surplombe la place de l’Indépendance et qui accueille une bonne partie de la presse étrangère. Cela a provoqué un affolement général autour de cet homme livide, inconscient, qui perdait beaucoup de sang et que l’on a allongé sur une table basse du hall. Une jeune femme s’est mise à crier : « Apportez de l’eau, des compresses, des seringues ! ». Puis rapidement, un autre blessé a été apporté, posé à même le sol, puis d’autres, sur des brancards. Des médecins, des infirmiers, des volontaires et des prêtres ont afflué, et avec eux, des médicaments, des perfusions, toutes sortes de produits, mais aussi des vivres.

Corps recouverts de draps blancs

Peu à peu, le hall de l’hôtel s’est transformé en un véritable poste de secours de campagne. Les blessés n’ont cessé d’affluer sur des brancards pendant plusieurs heures. Des hommes essentiellement, blessés par balle, au cou, à la tête, aux bras, aux jambes. Certains malheureusement n’ont pas pu être sauvés. Les corps sans vie ont été recouverts de draps blancs apportés par les employés de l’hôtel et alignés dans un coin du hall, entre quatre colonnes, où l’on a tiré ensuite un rideau de draps blancs. Les médecins ont expliqué qu’ils avaient du mal à évacuer les blessés, aucun véhicule ne pouvant accéder à l’hôtel. Situation encore plus délicate pour les cadavres qui se trouvent toujours à quelques mètres de la réception de l’hotel, où les hôtesses, dont certaines ont du mal à cacher leur émotion, poursuivent malgré tout leur travail en distribuant des chambres aux journalistes, mais aussi au personnel médical.

Les manifestants ont repris le contrôle de la place de l’Indépendance, où plusieurs milliers des personnes sont réunies comme tous les soirs depuis trois mois devant la grande scène, où les orateurs se succèdent. La situation est plus tendue dans la rue qui monte vers le quartier gouvernemental, tout près de l’hôtel Ukraine, où les manifestants ont monté de nouvelles barricades.

Ce jeudi après-midi, des centaines de personnes, des hommes, des femmes de tous âges, se sont relayées pour y transporter des pavés, toutes sortes de plaques métalliques et des pneus, qui sont en train de se consumer et qui dégagent une épaisse fumée. La police antiémeute se tient un peu plus haut et tire, de temps en temps, en direction de la foule. Les manifestants s’apprêtent à passer une nuit tendue, et redoutent un assaut des forces de l’ordre. Bien que sous le choc, les manifestants se disent plus déterminés que jamais.

Edition spéciale Ukraine sur RFI vendredi 21 février, de 6h TU à 6h30 TU

Partager :